"La géographie de la guerre contre Gaza et ses conséquences", écrit par le Dr Atef Motamed, professeur de géographie et journaliste égyptien, est un article qui vaut le détour. Parce que c'est un article dont l’auteur maîtrise le sujet – et parce qu’il présente les choses sous un angle original, unique, nous avons décidé de le publier en français !
"53 ans après la mort du philosophe anglais Bertrand Russell, le professeur Amani Abdel-Ghany a choisi intelligemment de publier la lettre qu’il avait écrite en 1970, car l’homme était considéré comme une conscience libre parmi les philosophes de l'époque. Russell est connu pour s'être opposé à la participation de son pays, la Grande-Bretagne, à la Première Guerre mondiale, ce qui lui a valu la perte de son poste de professeur. La veille de sa mort, il s’est opposé à la guerre menée par Israël contre l’Egypte.
Lors de son décès en 1970, l'homme était âgé de 98 ans. Malgré tout, il a continué jusqu'au dernier moment à écrire et à s'élever contre l'injustice pratiquée par l'homme contre l'homme. Le 31 janvier 1970, Russell a publié une déclaration condamnant "l'agression israélienne au Moyen-Orient", et en particulier les bombardements israéliens massifs menés sur le territoire égyptien dans le contexte de la guerre d'usure, menée de 1968 à 1970. Cette déclaration politique est la dernière de Russell. Elle a été lue à la Conférence internationale des parlementaires au Caire le 3 février 1970, le lendemain de sa mort.
Son message s'adressait spécifiquement à Israël. Depuis Londres, il suivait les attaques israéliennes sur le territoire égyptien pendant la guerre d'usure. Dans sa lettre ouverte, il demandait un cessez-le-feu aux Israéliens. Russel tenait à prévenir Israël en disant que les raids d'Hitler sur la Grande-Bretagne pendant la Seconde Guerre mondiale avaient conduit à une unité et une détermination sans précédent des Anglais jusqu'à la défaite des Allemands. Et en effet, les raids d’Israël contre les Egyptiens n'ont fait qu'accroître leur détermination à libérer leur terre : ils n’eurent pas l’esprit tranquille tant qu’ils ne fussent pas parvenus à la libérer.
On a l'impression que Bertrand Russell a écrit sa lettre hier, et qu'elle pourrait s'adresser aux Israéliens d'ajourd'hui : bien que sa lettre ait 53 ans, elle est toujours d’actualité et c’est fascinant.
Rappel de ce qu’est la guerre d’usure Egypto-israélienne : Le 31 octobre 1968, l'armée israélienne a organisé une attaque sur la partie Nord de la frontière avec l'Égypte, et détruit ainsi la position de Banaj Hamadi. L’idée d'envahir les territoires situés sur l'autre rive du canal est abandonnée pour d’obscures raisons, mais Israël, toujours avide de territoires, a continué d’attaquer, par les airs, les villes égyptiennes situées le long du canal. Cette attaque a fait fuir de la région 750 000 habitants égyptiens. La guerre a pris fin après la signature, sous contrôle américain, du cessez-le-feu du 7 août 1970.
Russel accusait la Grande-Bretagne d’avoir donné la Palestine à des étrangers
La nationalité britannique de Bertrand Russel ne l'a pas empêché de dire : "La tragédie du peuple palestinien est que son pays a été donné par une puissance étrangère à un autre peuple.". Il parlait de la Grande-Bretagne, qui a donné la Palestine aux Juifs à travers la célèbre Déclaration Balfour. Cette simple lettre ouverte du secrétaire d'État britannique aux Affaires étrangères Arthur Balfour, qui promet la création d’un foyer national juif au Proche-Orient, a scellé le destin de la Palestine ! La Palestine qui n’était plus sous l’autorité des Ottomans, est passée sous mandat britannique à partir de 1920. Toutefois, dès 1917, Arthur Blafour a adressé une lettre à Lord Rothschild, financier du mouvement sioniste, et publiée dans le Times de Londres le 9 novembre, intitulée "Palestine for the Jews. Official Sympathy" (La Palestine pour les Juifs, Déclaration de sympathie), dans laquelle il affirme que le Royaume-Uni se déclare en faveur de l'établissement en Palestine d'un projet national (présenté comme "un foyer national pour le peuple juif").
Russel a vécu une longue vie en étant fermement convaincu que si les Juifs ont été victimes d'atrocités de la part des nazis, les atrocités du passé ne justifient pas les atrocités du présent contre la Palestine. Affirmer le contraire ne serait qu’hypocrisie flagrante. Il disait : "Personne, nulle part dans le monde, n'accepterait une expulsion collective de son propre pays alors comment pouvons-nous demander cela au peuple de Palestine ?... Alors, quelle est la solution ?...". La solution pour Russell le philosophe du XXe siècle, n'était rien d'autre que le retrait d'Israël des terres illégalement occupées et le respect des frontières établies le 4 juin 1967. Il n'y a pas d'autre solution à moins d’exterminer le peuple palestinien, ce qui ne peut en aucun cas être envisagé par des hommes humanistes et civilisés. Le sang continuera hélas de couler, parce que les Israéliens espèrent, en vain, que les Palestiniens capituleront".