L'Autorité palestinienne ne sert pas la cause des Palestiniens

Un manifestant palestinien
Un manifestant palestinien

La population palestinienne est réprimée et brutalisée par son gouvernement que l'on appelle l'Autorité palestinienne (AP). Ce dernier préfère collaborer avec l'État israélien!

Le 24 juin 2021, Nizar Banat, militant palestinien de longue date et critique des dirigeants a été battu et arrêté devant le domicile de son cousin à Hébron par les forces de sécurité de l'AP. Il est décédé en détention peu après. Lors des déclarations vidéos qu'il publiait sur ses comptes de réseaux sociaux, Banat a souvent reproché à l'Autorité palestinienne sa corruption, son manque de pratique démocratique et sa collaboration avec Israël. Quelques jours avant sa mort, il avait mis en ligne une vidéo dans laquelle il accusait l'autorité de brader la lutte palestinienne.

Une Autorité palestinienne brutale

Beaucoup pensent que la mort de Banat est en fait un assassinat politique. Des manifestations populaires ont éclaté à travers la Cisjordanie peu après l'annonce de la mort de Banat. Le message des manifestants était clair: ils ont exigé des comptes pour la mort de Banat et justice pour sa famille. Alors que les responsables de l'Autorité palestinienne n'ont pas fourni de réponses et qu'aucune démission officielle n'a été annoncée, les manifestations se sont transformées en un appel plus large à la chute du régime – faisant écho aux exigences des révolutions arabes qui ont commencé il y a plus d'une décennie.

Dans la capitale officieuse de l'Autorité palestinienne, à Ramallah, les manifestations se sont poursuivies jusqu'en juillet et se sont heurtées à une violente répression. Les forces de sécurité de l'autorité ont utilisé des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes pour disperser violemment les foules. Des agents de sécurité en civil ont harcelé et agressé des manifestants, en particulier des femmes. Ils ont également procédé à des arrestations massives de militants – dont beaucoup sont des personnalités bien connues de la société civile.

Les manifestations se sont tues pendant quelques semaines – la répression a eu un effet paralysant – mais fin août, elles ont réapparu, tout comme la répression. Des dizaines de manifestants ont été arrêtés et détenus dans des cellules insalubres et surpeuplées sans respect pour les précautions Covid-19, une maladie bien pratique pour défendre l'idée d'une répression violente des manifestations de par le monde, mais qui disparaît lorsqu'il s'agit d'entasser des militants dans les prisons... Les détenus auraient été maltraités et interrogés pendant des heures sans représentation légale. Les prisons et les centres de détention de l'Autorité palestinienne sont également connus pour pratiquer la torture et ont été l'objet de nombreux rapports critiques sur les droits humains.

Les charges retenues contre les détenus, dont beaucoup ont depuis été abandonnées, démontrent l'absurdité des arrestations. Un détenu est simplement accusé d'avoir distribué le drapeau palestinien. D'autres sont accusés de vagues infractions telles que "incitation à des conflits sectaires" et "insulte aux autorités". De telles charges ne sont pas rares. En 2013, un journaliste palestinien a été condamné à plus d'un an de prison pour avoir insulté le président palestinien Mahmoud Abbas. À la suite de ces dernières arrestations, des dizaines de groupes de la société civile palestinienne, dont al-Haq (la principale organisation palestinienne de défense des droits humains) ont publié une déclaration mettant en garde contre le "grave déclin des droits et libertés".

Un père et son fils palestiniens
Un père et son fils palestiniens

Pour autant, le comportement autoritaire de l'Autorité palestinienne n'est ni nouveau ni surprenant. Il en est ainsi depuis les accords d'Oslo de 1993 qui lui permettent d’être un organe intérimaire pour gouverner la Cisjordanie et Gaza. Depuis lors, son pouvoir et son autorité dans ces domaines ont dépassé ceux de l'OLP – le représentant politique officiel du peuple palestinien à l'ONU et ailleurs. De nombreuses organisations locales et internationales ont signalé au fil des ans non seulement la répression des manifestations par l'Autorité palestinienne, mais aussi le manque de liberté d'expression en général et l'étouffement de la démocratie sur son territoire. La direction de l'autorité a maintenant dépassé son mandat démocratique depuis plus d'une décennie – les dernières élections ont eu lieu en 2005.

Cette situation avec l'Autorité palestinienne est souvent présentée comme un problème palestinien interne, mais cela occulte la façon dont l'Autorité palestinienne dépend du soutien international, et la façon dont elle coordonne souvent ses mouvements les plus oppressifs en parallèle avec le régime israélien. Cela signifie que ses abus ne sont pas seulement un problème interne mais font plutôt partie du système global d'oppression.

L'Autorité palestinienne n'est guère un gouvernement totalement indépendant. Son fonctionnement dépend fortement des donateurs étrangers. Et de nombreux États, dont le Royaume-Uni, fournissent des programmes de financement et de formation aux forces de sécurité palestiniennes. Pour eux, l'autorité est considérée comme un pilier crucial pour maintenir la stabilité globale en Cisjordanie - même si le gouvernement réprime la protestation populaire. Les accords d'Oslo stipulaient que l'autorité devait travailler avec les Israéliens dans le cadre d'une "paix sécurisée". Cela signifie qu'ils sont obligés de coopérer pleinement avec le régime israélien, à travers des choses telles que la formation conjointe et le partage étendu des renseignements.

En effet, de nombreux détenus de l'Autorité palestinienne ces dernières semaines ont également été incarcérés par le régime israélien, notamment le célèbre gréviste de la faim Khader Adnan et le chercheur Ubai Aboudi. L'Autorité palestinienne facilite également souvent l'entrée de l'armée israélienne dans les zones sous son contrôle. Ce fut le cas en 2017 lorsqu'une unité des forces spéciales de l'armée israélienne a fait une descente au domicile du militant Basel al-Araj et l'a tué. Al-Araj n'était pas seulement un militant qui luttait contre le régime israélien, il était aussi un critique féroce de l'Autorité palestinienne.

Cette coordination a également clairement joué un rôle dans la mort de Banat. Banat séjournait dans la zone "H2" d'Hébron, qui est restée sous contrôle de sécurité israélien depuis l'accord de 1997 avec l'Autorité palestinienne. La région abrite 34 000 Palestiniens, 700 colons israéliens illégaux et près de 1 500 soldats israéliens. Pour que les forces de sécurité de l'AP (ou tout autre responsable palestinien d'ailleurs) puissent entrer dans cette zone, elles doivent avoir la pleine permission de l'armée israélienne. En d'autres termes, l'Autorité palestinienne aurait reçu la permission des Israéliens d'entrer et de mener le raid qui a finalement tué Banat.

Ce lien très étroit, cette collaboration entre l'Autorité palestinienne et le régime israélien est un fait souvent passé sous silence dans les médias internationaux. Certains Palestiniens pourraient argumenter qu’on lave son linge sale en famille, tandis que les militants de la solidarité internationale et leurs alliés veulent éviter de s'impliquer dans les problèmes palestiniens "internes". Pourtant, alors que l'autorité recourt de plus en plus à l'autoritarisme, il est vital que nous comprenions que la répression de l'activité politique palestinienne fait partie intégrante de l'occupation israélienne. De plus, que cette répression est aidée et encouragée par de nombreux acteurs de la communauté internationale.

L'Autorité palestinienne et le régime israélien dépendent l'un de l'autre, le premier pour maintenir son emprise militarisée sur son propre peuple, et le second pour maintenir un peuple palestinien soumis et dépolitisé. A moins qu'ils ne soient, en fait, que les deux faces d'une même pièce... Il est clair, plus que jamais, que les Palestiniens ne seront pas libérés de l'oppression israélienne sous la direction de l'Autorité palestinienne.

Cet article est inspiré de la traduction en français d'un article en anglais de Yara Hawari. Elle est chercheuse principale en politique à Al-Shabaka, le réseau politique palestinien.

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Mis en ligne : Jeudi 16 Septembre 2021
 
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