En 1960, alors âgé de seulement dix-neuf ans, Mahmoud Darwich publie son premier recueil de poèmes dont le titre, Les oiseaux sans ailes, exprime déjà clairement la vive conscience que le poète a de la condition palestinienne.
Cette conscience lui est venue très tôt. Il a à peine sept ans lorsque sa famille, comme toute la population de son village natal d'Al-Birwah, près de St Jean d’Acre (ville de Palestine), est chassée par les obus des Israéliens. Quelques mois plus tard – fin 1948 – le village est rasé. C’est la Naqba, la catastrophe, à la suite de quoi, au fil des années, 577 villages palestiniens seront rasés (et rayés de la carte) en comptant les derniers à avoir été rasés en 1967, dont le village d’Emmaüs Nicopolis.
Après un an d’exil au Liban, la famille Darwich rentre clandestinement dans cette partie de la Palestine devenue Israël, pour découvrir qu’à la place de son village se dresse désormais une colonie juive. Le jeune Mahmoud fait alors l’apprentissage de la clandestinité à Dair Al Assad, un village voisin où la famille se terre.
La situation de sa famille est "régularisée" en 1951-1952, à l’instar de celles de nombreux Palestiniens devenus ainsi citoyens précaires de seconde zone dans leur propre pays. L’adolescent Darwich apprend, à l'époque, la langue de l’occupant, l’hébreu.
Il a vingt ans lorsqu'il adhère au Parti Communiste Israélien, le RAKAH. Cinq fois arrêté pour ses écrits et ses activités militantes entre 1961 et 1967 – souvent en compagnie d’autres militants d’origine juive – il a connu les geôles israéliennes, qu’il évoque dans certains de ses poèmes, en particulier dans le terrible Un mètre carré de prison :
"Tant de grâce et de beauté sur terre, et la porte serait sans porte… Porte est la porte. Et nulle porte à la porte" : un des poèmes les plus poignants de La terre nous est étroite. C’est dans le cours agité de cette activité militante qu’il écrit, en 1964, son fameux poème Identité, Sajell Ana Arabi, ("Inscris je suis Arabe / je travaille à la carrière avec mes compagnons de peine…").
Écrit sur un paquet de cigarettes, dans un café d’Haïfa, le poème n’est pas alors la proclamation identitaire symbolique qu’il est devenu par la suite. Il n’est rien d’autre, dans la rage d’un mouvement de colère, qu’une réponse à l’obligation faite aux Palestiniens de se soumettre sans cesse aux formulaires et aux interrogatoires à répétition de la bureaucratie et de la police israélienne. Une manière de dire aux flics israéliens : "inscris une fois pour toutes que je suis l’Autre".
C’est un acte de résistance à l’oppression, donc une démarche universelle. L’universalité de cette singularité palestinienne revient d’ailleurs plusieurs fois dans ses écrits. En 1995, dans son entretien avec Abbas Beydoun : "Je suis Arabe et ma langue a connu son plus grand épanouissement quand elle était ouverte aux autres, sur l’humanité toute entière.". Un an plus tard, quand il affirme à Ramallah, dans un entretien avec un groupe d’écrivains palestiniens : "En tant que Palestinien, je suis le produit de cette terre et me considère comme le dépositaire de toutes les cultures qui y ont vu le jour. La Bible en fait partie". Ou encore, dans un entretien de 2006, publié par le Nouvel Observateur :
"Si je combats le sionisme en tant qu’idéologie et réalité politique, c’est qu’il est un exclusivisme. Je ne veux ni ne peux y répondre par un exclusivisme arabe, mais par le partage de la diversité".
On voit là que tout patriotisme lucide conduit à devenir un citoyen du monde. Extrait de Mahmoud Darwich, Poète palestinien, dissident et citoyen par Gérard D. Prémel.