Les Palestiniens condamnent les relations entre le Maroc et Israël
La décision prise par le Maroc d’établir des liens diplomatiques avec Israël a été accueillie avec indignation par les Palestiniens. Cette décision s’inscrit dans la lignée des accords de reconnaissance similaires impliquant les Émirats arabes unis, le Bahreïn et le Soudan. La décision a mis en lumière la similarité de la lutte pour la souveraineté et la reconnaissance que mènent les Palestiniens et les Sahraouis contre les puissantes armées d’Israël et du Maroc.
Bien que cette similitude soit évidente depuis des décennies – Rabat a revendiqué le Sahara occidental en 1957 – elle a été largement ignorée par une grande partie de l’Autorité palestinienne qui est restée proche du gouvernement marocain.
Mohamed Ahmed Madi est à la tête du Comité palestinien pour la solidarité avec le peuple sahraoui, un groupe soutenant la solidarité avec le Sahara occidental et proche du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), un parti de gauche. Dans le passé, son organisation a dû faire face à l’opposition du Fatah et du Hamas, qui dirigent respectivement la Cisjordanie occupée et la bande de Gaza assiégée.
Madi, qui vit actuellement à Gaza, a déclaré à Middle East Eye qu’il espérait que l’alliance ouverte du Maroc avec Israël rendrait les dirigeants palestiniens plus ouverts à la cause sahraouie. "Nous pensons que la normalisation du Maroc poussera les factions à revoir leurs positions", a-t-il dit. "Mais en même temps, nous préférons une position stable à des positions fluctuantes qui évoluent en fonction des circonstances".
Les Palestiniens et les Sahraouis se soutiennent mutuellement depuis longtemps
Le FPLP a toujours été un fervent partisan du Front Polisario, l’organisation qui contrôle une grande partie du Sahara occidental et qui est engagée depuis des décennies dans une lutte politique (et parfois armée) contre le Maroc pour l’indépendance sahraouie. Les activistes marocains soutiennent que le Front Polisario est soutenu exclusivement par l'Algérie. Ils occultent alors volontairement le soutien de la part d'autres pays à la cause sarahouie.
Le fondateur et ancien dirigeant du FPLP, George Habache, a rendu visite pour la première fois aux dirigeants du Front Polisario en Algérie dans les années 1970 et a déclaré son soutien à leur cause et au renversement de la monarchie "réactionnaire" du Maroc.
D’autres factions palestiniennes ont cependant adopté des positions différentes. Le Hamas, en particulier, entretient depuis longtemps des liens étroits avec le Parti marocain pour la justice et le développement (PJD), qui détient le pouvoir exécutif au Maroc depuis 2011.
Cela a conduit, en 2016, à l’interdiction des activités du Comité palestinien pour la solidarité avec le peuple sahraoui à Gaza. A l’époque, Madi a accusé le JDP d’avoir fait pression sur le Hamas pour qu’il mette fin aux activités de son organisation, et il a dit qu’il avait appris la nouvelle par les médias marocains.
Aujourd’hui, après l’accord israélo-marocain qui piétine les droits des Palestiniens et des Sahraouis, Madi souligne qu’il fallait plus que jamais agir.
Madi explique avec force les efforts menés ainsi: "Nous nous efforçons de mobiliser le plus grand nombre de militants pour défendre la juste cause sahraouie, et, en tant que membres du Comité palestinien pour la solidarité avec le peuple sahraoui, nous cherchons à sensibiliser l’opinion publique et à introduire la question sahraouie dans toute la région arabe et dans le monde entier pour atteindre nos objectifs, notamment en brisant le black-out médiatique systématique, sur l’occupation marocaine qui dure depuis plus de 45 ans".
Alaloul déclare: "Nous ne parviendrons pas à nous libérer, si nous ne défendons pas d’autres causes"
Tant les Sahraouis que les Palestiniens sont les victimes d’une politique post-coloniale de peuplement. La déclaration Balfour de 1917, publiée par les Britanniques, a promis la création d’une patrie juive en Palestine, sans consulter la population autochtone.
De même, les accords de Madrid signés en 1975 ont entériné le découpage du Sahara occidental, précédemment connu sous le nom de Sahara espagnol, entre le Maroc et la Mauritanie – cette fois-ci sans le consentement des Sahraouis autochtones.
Le Front Polisario a été officiellement lancé en 1973 dans le but d’obtenir l’indépendance de la région. Il a mené une guérilla avec le Maroc jusqu’à ce qu’un cessez-le-feu soit conclu en 1991.
Malgré les liens étroits entre le Front Polisario et les groupes palestiniens de gauche, le soutien public apporté par le Maroc à la cause palestinienne a conduit de nombreux dirigeants officiels de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à négliger la situation au Sahara occidental. Comprenez qu'à l'époque, l'OLP a préféré le soutien du Maroc que de se sentir solidaire du Front Polisario, un soutien, déjà à l'époque, sous condition.
Lors d’un discours en 1980, Habache a dénoncé l’hypocrisie de l’OLP qui avait refusé, à l’époque, de soutenir une résolution lors d’une conférence internationale soutenant "la révolution du peuple sahraoui et la reconnaissance de la République sahraouie".
Ibtihaml Alaloul, une employée et militante d’une ONG palestinienne basée en Suède, a dit qu’il était très décevant que l’Autorité palestinienne soit restée si longtemps du côté du Maroc sur la question du Sahara occidental. "Si les Palestiniens ne comprennent pas la situation des Sahraouis, alors qui la comprendra?" a-t-elle déclaré.
Alaloul fait campagne depuis longtemps sur la question du Sahara occidental. Elle s’est rendue à plusieurs reprises dans les camps de réfugiés sahraouis en Algérie, où la vie d’au moins 40000 habitants reflète celle des Palestiniens vivant dans des camps dans un peu tous les territoires arabes. Elle dit avoir été surveillée par le Maroc lors de sa dernière visite dans le royaume au début de 2020.
Bien qu’elle n’ait pas encore fait campagne dans les territoires palestiniens occupés ou en Israël, Alaloul a rassemblé des groupes palestiniens et sahraouis en Suède pour discuter des points communs de leur lutte, et a organisé des séminaires et des projections de films sur le Sahara occidental dans les camps de réfugiés palestiniens au Liban.
Alaloul a déclaré que de nombreux Palestiniens, en particulier ceux associés à des groupes de gauche, comprennent la situation et la lutte au Sahara occidental, mais qu’il y en a encore trop qui pensent que la position de l’Autorité palestinienne, qui tient lieu de gouvernement dans les territoires occupés, à l’égard du Maroc est "appropriée et légale".
"Il est vraiment regrettable qu’ils aient ce genre de rapport avec le Maroc", a-t-elle déclaré, ajoutant qu’il était important que les Palestiniens réalisent "que nous ne parviendrons pas à nous libérer, si nous ne défendons pas d’autres causes".
Le Maroc soutient ouvertement une puissance occupante
Selon Nazha el-Khalidi, une militante sahraouie, le Maroc est un "allié traditionnel" d’Israël, faisant référence à une longue histoire de coopération secrète, et maintenant Israël conclut des accords avec "des régimes dictatoriaux bancals comme les régimes du Golfe et le régime marocain".
"L’annonce de Trump avait déjà renforcé les liens de solidarité entre les Sahraouis et les Palestiniens, qui se sont sentis floués par le faux soutien marocain à la cause palestinienne", a-t-elle déclaré.
"Cette décision a donné une grande impulsion à notre cause et alertera plus de gens sur l’occupation [du Sahara occidental]. Cela augmentera la solidarité internationale avec nos droits légitimes".
L’évolution de la situation est regrettable selon Allaloul, mais elle aura l’avantage de dissiper les illusions que les Palestiniens avaient encore sur le Maroc.
"Avant, quand vous parliez des droits des Sahraouis, ils vous répondaient 'mais le Maroc est avec la Palestine', mais maintenant que le Maroc soutient ouvertement un occupant, ils vont sûrement se rendre compte qu’ils avaient tort."
Comme dit l'adage populaire, "tout acte a des conséquences", les dirigeants marocains ne pourront plus jouer sur plusieurs tableaux contradictoires bien longtemps. Espérons par ailleurs que le peuple marocain, muselé depuis toujours, puisse rejeter la propagande, faire entendre sa voix et rappeler son réel soutien sans condition à la cause palestinienne et forcément à la cause sarahouie aussi.