La broderie: une opportunité économique pour les femmes réfugiées
La collaboration dans le domaine de la mode aide les femmes réfugiées vivant dans des camps à trouver un moyen de subsistance.
Dans un petit studio au cœur du camp surpeuplé de Burj al-Barajneh àBeyrouth, plus de deux douzaines de femmes de l'ONG "Sky" travaillent sur leurs machines à coudre, brodant des vêtements destinés au marché mondial dans le cadre d'une nouvelle collaboration avec des Britanniques et avec la créatrice suisseLarissa von Planta.
La broderie dans les camps libanais: une opportunité économique pour autonomiser les femmes réfugiées
La détérioration de la situation économique au Liban et la dépréciation de la monnaie locale ont empêché de nombreuses travailleuses du camp de bénéficier d’un revenu durable. Les fils, les tissus de chanvre et les matériaux utilisés pour broder les textiles sont importés et réglés en dollars, tandis que les femmes sont payées en livres libanaises, ce qui les empêche souvent de joindre les deux bouts. Le prix élevé des produits de base dans le pays a également provoqué une perte de parts de marché et une baisse des clients qui sont intéressés par des vêtements faits à la main.
La vie est devenue plus difficile après l’explosion dans le port de Beyrouth en août 2020, qui a fait plus de 200 morts et mis plus de pression sur une économie qui était alors en difficulté, faisant grimper les prix.
Pour Von Planta, une créatrice qui a travaillé avec des maisons de haute couture et fait des expositions partout dans le monde, de Shanghai à São Paulo, l'idée de travailler avec une association caritative locale est née du fait qu'elle se sentait impuissante et attristée lorsqu'elle voyait à quel point les choses allaient mal à Beyrouth après l'explosion.
"Après l'explosion, j'ai été tellement choquée!," dit von Planta. "J’avais juste envie de revenir vers mes amis pour les prendre dans mes bras et c'était tout. Alors je me suis dit: Qu’est-ce qu’on peut faire dans l’immédiat, qui soit simple, pour les aider? Parce que quelque chose doit être fait maintenant – et c'est ainsi que l'idée m'est venue". Von Planta a vécu à Beyrouth pendant trois ans, où elle travaillait dans son atelier et transformait des vêtements et des tissus démodés en mode contemporaine, mais s’est finalement sentie très frustrée par la crise économique et a dû retourner à Londres.
Alors que l'explosion faisait la une des journaux et réduisait en décombres des pans entiers de la ville qu'elle aimait, von Planta a contacté Maiky Zervogel, PDG de The Sky Project, une organisation caritative libanaise qui soutient les personnes vivant dans des camps de réfugiés dans le pays.
Outre le rôle de l’association d'entraide dans la création de centres éducatifs, d'événements sportifs et d'entreprises sociales pour les femmes réfugiées, la branche de la mode, "Sky Studio", crée également des travaux d'aiguille sur mesure et fabrique ses propres collections de vêtements en recyclant de vieux tissus et vêtements.
Le studio a été créé en tant qu'institution indépendante fin 2019 et a rejoint l'organisation "Sky" en 2020. De nombreuses femmes qui y travaillent sont les seuls soutiens de famille de leur famille élargie et n'ont que le niveau école primaire, tandis que certaines d'entre elles sont analphabètes.
Von Planta a décidé d'utiliser ses compétences en design et broderie traditionnels du Moyen-Orient pour travailler avec la Sky Organization sur un projet qui aiderait les femmes vivant dans les camps de Chatila et de Burj al-Barajneh à la périphérie de Beyrouth, à trouver de nouvelles sources de revenus.
Dans les camps
Le camp de Chatila, où se trouve l'Organisation de The Sky Project, a été initialement établi comme refuge temporaire pour les Palestiniens qui ont été déplacés de force suite à la Nakba en 1948. Malgré le massacre honteux de Sabra et Chatilaen 1982, au cours duquel jusqu'à trois mille personnes ont été tuées par la milice libanaise appelée Les Phalanges appuyée par les Forces libanaises et les forces israéliennes, la population du camp a augmenté. Depuis lors, il a accueilli des milliers de réfugiés syriens. Certaines ONG locales estiment que le camp de Chatila abrite aujourd'hui plus de 42000 personnes.
Pour von Planta, la collaboration avec Sky Organisation sera l'occasion d'allier son amour de Beyrouth à un savoir-faire artisanal de qualité, un savoir-faire qu'elle croit avoir hérité de ses ancêtres qui travaillaient dans le textile. Zervogel s'est associé à von Planta pour rechercher des idées sur la manière dont ils pourraient créer un projet qui apporterait un soulagement aux réfugiés touchés par l'explosion dans le contexte de la crise économique qui afflige le Liban et qui aiderait à autonomiser les femmes du camp de Chatila.
Ils ont finalement proposé un plan pour produire des vêtements sur mesure et brodés à la main basés sur des motifs libanais traditionnels par des femmes réfugiées travaillant avec al-Samaa, afin de leur fournir un moyen de subsistance.
Les clients du monde entier passent commande en envoyant, à titre d’exemple, des vêtements usagés à Von Planta avec 100 $ pour couvrir les frais d'expédition, les matériaux et les revenus des femmes travaillant sur le projet. Ensuite, von Planta fait travailler les femmes réfugiées de Burj al-Barajneh, où, dans l'atelier, elles évaluent les vêtements et conçoivent un motif de broderie adapté.
Une fois la pièce terminée, elle est renvoyée à Londres pour être expédiée aux clients. Le coût des travaux est estimé en calculant le nombre de mètres carrés brodés, le coût des fils et le type de perles utilisées.
Ces femmes ont brodé plus de 700 pièces à ce jour, depuis le lancement du projet il y a deux ans et 6 mois, ce qui leur a donné la possibilité d'avoir un revenu stable. Outre son rôle dans la gestion de la logistique et du contrôle de la qualité, Von Planta fournit également des conseils d'expert basés sur son expérience en design de mode et en recyclage de vêtements.
Cette collaboration est à la fois éthique et durable, deux principes qui, selon von Planta, étaient la principale raison de son implication dans le projet: "Je déteste la "fast fashion" car elle déforme notre vision du prix minimum des vêtements, le concept de valeur des vêtements, et les mains qui les fabriquent", explique-t-elle.
Cette collaboration soutient les femmes vivant dans des camps de réfugiés et leur donne une indépendance financière.
Effet positif pour les femmes qui ont survécu à la guerre!
Le projet a eu un impact personnel sur les femmes travaillant dans l'atelier, qui ont confirmé que même le processus de choix d'un motif de broderie leur donnait l’impression d’être parfaitement libres d'exprimer leur créativité. Environ 25 femmes travaillent dans le studio, qui sont des réfugiées syriennes et palestiniennes ainsi que des femmes libanaises qui ne peuvent pas se permettre de vivre en dehors des camps.
Fatima Khalifa, 43 ans, directrice de Sky Studio, affirme que le projet a eu un impact positif sur tous les participants. De nombreuses femmes dans les camps ont survécu à la guerre et sont confrontées à des conditions difficiles avec des possibilités d'emploi et d'éducation limitées, mais Sky Studio leur offre une seconde chance. Il faut espérer que ce genre d'initiative prospère et puisse bénéficier à un plus grand nombre de femmes, qui pourront ainsi s'émanciper.