En Irak, un triste et banal fait divers s'est retrouvé au centre d'un énorme scandale national. Incompétences, injustice et emballement médiatique sont les composantes de cette histoire qui ne manque pas de piquant.
Une femme disparait, son mari est condamné
En juillet 2021, lorsque Monsieur Ali Al-Jubouri, un père de famille irakien, est allé au commissariat de police de sa commune, la ville de Babylone, située dans le gouvernorat de Babel, il ne s'attendait pas à être aussi mal reçu. Alors qu'il venait signaler la disparition de son épouse et exprimer son inquiétude, immédiatement, les enquêteurs ont décidé de procéder à un interrogatoire. Al-Jubouri fut tout de suite considéré comme responsable de la disparition de sa femme qui demeurait par ailleurs effectivement introuvable.
Il subit alors un interrogatoire dur qui permit à l'enquêteur principal de lui soutirer des aveux. Al-Jubouri a expliqué avoir emmené sa femme visiter un sanctuaire. Sur la route du retour, ils avaient décidé de faire une halte sur les rives de l'Euphrate (le fameux fleuve cité dans la Bible). Il a finalement avoué avoir assassiné sa femme par strangulation, puis avoir brûlé son corps et l'avoir jeté dans l'Euphrate. Son enquête rondement menée, l'enquêteur, pas peu fier, décide alors de transmettre le dossier au procureur du gouvernorat de Babel, et ce dernier s’empresse de faire comparaître le père de famille présumé coupable en comparution immédiate.
Le jugement lui aussi ne s'est pas fait attendre: Al-Jubouri fut reconnu coupable de ce meurtre atroce et condamné à perpétuité!
Le porte-parole de la police s'est fendu d'un communiqué dans lequel il a fustigé le coupable pour avoir commis un meurtre aussi horrible, s'est dit personnellement touché par ce crime et biensûr en a profité pour féliciter les policiers et les magistrats pour avoir mis cet assassin... derrière les barreaux!
Tous les médias irakiens avaient alors fait leurs choux gras avec cette affaire judiciaire et n'avaient pas hésité à noircir encore plus l'image de Al-Jubouri auprès du public. A l'instar de la chaîne irakienne Huna Bagdad (Ici Bagdad, en français) qui a inséré les aveux d'Al-Jubouri dans un documentaire à la gloire des forces de police irakiennes. Cette émission se voulait révéler la vérité sur l’assassinat de sa femme, une affaire que la chaîne de télévision avait baptisé: Le scandale.
Tous les programmes télévisuels, la presse, les gens entre eux ne cessaient d'évoquer ce meurtre. Bref, l’Irak était en émoi.
Condamné pour un crime qui n'a pas eu lieu
La polémique a pris corps au sein de la population lorsque des amis de Al-Jubouri, qui était à ce moment-là en prison, ont fait savoir publiquement qu'ils avaient retrouvé son épouse bien vivante et en parfaite santé! Cette "femme assassinée" est réapparue vivante, comme par enchantement, plus de deux mois après sa disparition.
Le public s'est alors emparé de l'affaire et de nombreuses personnes ont posé ouvertement des questions à propos de l'enquête de police et du procès expéditifs auxquels Al-Jubouri a eu droit. Les étonnements et effarements concernaient essentiellement l'attitude de l'enquêteur principal: pourquoi avait-il immédiatement soupçonné le mari de meurtre sans aucun cadavre, sans aucune preuve médico-légale? Des citoyens ont estimé qu'une telle légèreté justifiait des poursuites et des sanctions à l'encontre de cet inspecteur.
Plus grave encore ; Par la suite, Al-Jubouri, lors d'une interview, a expliqué que l'enquêteur principal l'avait en fait menacé pendant des heures pour lui faire avouer ce meurtre... Il a ainsi expliqué que le scénario de la balade au sanctuaire, en passant par l'étranglement, la crémation du cadavre et le fait de jeter le corps dans l'Euphrate, tout cela n'était qu'une pure invention du policier! D’où tenait-il un tel scénario macabre? En outre, la fin du scénario imaginé par le policier était grotesque: on a fait avouer à Al-Jubouri qu'après avoir commis ce meurtre barbare à l'encontre de sa femme, il serait retourné paisiblement chez lui, les mains dans les poches et en sifflotant. Incroyable!
Al-Jubouri a dévoilé le moyen de coercition qu'avait utilisé l'enquêteur principal pour lui soutirer ses aveux ; Il l'avait menacé d'arrêter toutes les femmes de sa famille, sa mère, ses sœurs, ses tantes .etc., qu'il les vêtiraient de pantalons d'hommes afin de pouvoir les suspendre au mur et ainsi pouvoir les torturer!
A la suite des révélations de l'accusé, l'indignation du public était à son paroxysme. Des campagnes citoyennes ont été organisées afin de dénoncer les violences policières et les dysfonctionnements du système judiciaire.
Le Premier ministre, Mustafa Al-Kazemi, a finalement rencontré Al-Jubouri. Par la suite, il a fait punir ceux qui l'avaient forcé à faire un faux aveu. Le commandant de la police du gouvernorat de Babel a également annoncé avoir pris des mesures contre l'officier qui a enquêté sur cette affaire et qui avait conclus à tort au meurtre d'une femme.