Histoire d'une famille ordinaire, les colons mahonnais en Algérie

Femmes en mlaya de Constantine
Femmes en mlaya de Constantine

La période coloniale française de l'Algérie fut longue et complexe. Si de nombreux Français sont venus s'installer en Algérie, il est également intéressant de noter que des colons venant d'autres pays sont également venus s'y installer. C'est par exemple le cas des Mahonnais (ou Minorquins), une population espagnole pauvre originaire des îles des Baléares que l'ont n'évoque que très rarement. Nous vous proposons de découvrir l'histoire des colons mahonnais en Algérie durant la période coloniale française grâce au témoignage du Français M. Claude LAMBOLEY. Dans son ouvrage intitulé Histoire d'une famille ordinaire, il raconte l'histoire de sa propre famille qui fut présente en Algérie dès 1834. Il explique aussi les conditions dans lesquelles des Mahonnais, entre autres, sont devenus des colons.

Extrait du livre "Histoire d'une famille ordinaire" de M. Claude LAMBOLEY

[...] Évoquer la colonisation en Algérie est toujours une entreprise délicate, tant ce sujet, malgré le temps passé, réveille de rancœurs ou de douleurs. Je tiens à souligner d’emblée qu’il ne s’agit pas dans cette communication de pleurer une Algérie perdue ou de s’appesantir sur des regrets que peut légitimement susciter une évolution historique douloureuse, mais prévisible.

Je comprends que la déchirure provoquée par l’exode ne se soit pas encore refermée. Je comprends qu’on puisse évoquer avec nostalgie ce paradis perdu, paradis d’autant plus embelli que le recul du temps, cinquante ans en 2012, le pare de toutes les qualités. Cependant, la page s’est désormais tournée, le temps a fait son œuvre... Surtout, je me garderai bien de discuter des bienfaits ou des erreurs de la colonisation. Il s’agit d’un sujet bien trop sensible pour que je puisse l’évoquer, d’autant que je n’aurai certainement pas l’impartialité nécessaire.

Comme je l’ai souvent souligné, je ne prétends pas être un historien. Mon propos sera seulement de témoigner et de rappeler le souvenir de ces hommes et de ces femmes au caractère bien trempé, doués d’un esprit d’aventure, qui ont peuplé l’Algérie après 1830. Il se trouve que certains d’entre eux furent mes aïeux. Ces derniers sont arrivés par vagues successives dès 1834. D’origines diverses, ils m’ont paru être suffisamment représentatifs pour qu’ils fassent l’objet de cette communication.

Parmi les différentes souches, qui constituent cette "famille ordinaire", la racine la plus ancienne est d’origine mahonnaise ; elle est arrivée dans la foulée de l’armée française lors de l’expédition d’Alger, en juillet 1830. Une deuxième a participé à la tentative de peuplement avec la création des villages départementaux, en 1853. Ce sujet a fait l’objet d’une communication à l’Académie, mais j’apporterai, ici, des renseignements nouveaux à partir de documents que je n’avais pas exploités. Enfin, une autre racine illustrera la colonisation par les Alsaciens-Lorrains, ce qui me permettra d’évoquer ceux qui ont refusé l’annexion de leur province par la Prusse, en 1871.

La colonisation par les Mahonnais

Très vite, après le débarquement de Sidi-Féruch et la prise d’Alger, en 1830, de nombreux aventuriers avaient afflué : négociants marseillais espérant tirer profit de la mise en valeur du pays, ouvriers français, mais aussi allemands ou suisses pensant faire fortune, et surtout Maltais qui disputaient aux Juifs le petit commerce.

Mais les pouvoirs publics hésitaient déjà sur la politique à suivre en Algérie. Aussi, cette première colonisation, non voulue par le gouvernement parisien, spontanée, réduite et inorganisée, fut-elle un échec. Beaucoup de ces premiers arrivants, déçus, retournèrent rapidement dans leur pays d’origine.

La première tentative notable de colonisation fut le fait des colons en gants jaunes. Elle fut réalisée, dès 1831, par des hommes jeunes, entreprenants, le plus souvent de naissance aristocratique et d’opinion légitimiste, à l’étroit dans la France de Louis-Philippe. Ce sont eux qui entreprirent la mise en valeur de la plaine de la Mitidja, laquelle, marécageuse et source de fièvres, s’étendait au sud d’Alger.

Profitant de vides juridiques et d’absence de politique bien affirmée de l’Administration, ils s’étaient établis soit sur les domaines du Dey ou sur des terres confisquées de certaines tribus pour des raisons diverses, soit sur des terres achetées dans des conditions de spéculations souvent douteuses. Néanmoins, leur implantation fut facilitée par le fait qu’ils cherchèrent d’emblée, par goût, à s’approprier la culture arabe.

Cette première colonisation faillit être emportée définitivement, lors de l’insurrection du 19 novembre 1839. Pourtant, si on excepte l’entreprise du prince de Mir qui aboutit à la ruine de ce dernier en quelques années, cette implantation fut une réussite, mais une réussite très limitée car elle ne fut le fait que de quelques familles ou individus.

Dans ces premiers temps de présence française en Algérie, seule une implantation exogène fut un réel succès, celle des Mahonnais, terme générique désignant les habitants de Minorque ayant émigré en Algérie.

Cette île, pauvre, ingrate, à la terre caillouteuse, aride, balayée par la tramontane qui en accentue la sécheresse, n’avait comme ressources qu’une agriculture traditionnelle et une petite industrie textile essentiellement artisanale qui avaient été stimulées par la présence anglaise, au 18e siècle. Les Anglais avaient favorisé le commerce et protégé l’île des incursions barbaresques. Cela avait amené une réelle prospérité. Mais, au traité d’Amiens de 1802, l’Espagne avait récupéré les Baléares.

En 1820, la décision malheureuse du pouvoir royal espagnol de prohiber, sous la pression des producteurs de blé castillans, tout échange commercial de blé entre la métropole, l’étranger et les îles, avait provoqué une grande dépression économique avec son cortège de ruines et de misère.

L’île caillouteuse comptait, en 1830, 38 983 habitants. Ses ressources étaient devenues incapables de subvenir aux besoins de cette population. Les pauvres, les ouvriers agricoles étaient les premiers à souffrir de la faim et de la misère, amenant des manifestations de protestation, ici ou là. Le manque absolu de commerce depuis la prohibition, ajouté à la raréfaction du trafic maritime, avait conduit à la ruine beaucoup de négociants et d’armateurs. Les propriétaires subissaient une forte dévaluation des terres et étaient la proie des usuriers. En bref, toutes les classes sociales se ressentaient de la crise.

Par ailleurs, l’instauration du tirage au sort pour le service militaire avait provoqué un fort ressentiment. Des tensions politiques entre "modérés" et "progressistes", avec la création de milices armées, entretenaient un climat d’inquiétude.

Les Minorquins découvrirent l’opportunité d’une émigration en Algérie, lorsque les troupes françaises de la conquête établirent à Mahon leur base d’intendance et leur hôpital arrière. D’emblée, cette expédition, censée être justifiée pour mettre fin à la piraterie, bénéficiera de l’accueil favorable des autochtones minorquins. Ces derniers y verront surtout un moyen d’échapper à leur misère.

Les Minorquins qui partent en Algérie deviennent des Mahonnais

Très vite, quelques Mahonnais tenteront l’aventure. Et bientôt, le mouvement s’amplifiera. Le 2 février 1832, l’agent consulaire français à Ciudadella, Juan Olivar, écrit au consul de France aux îles Baléares: "Je me vois dans l’obligation d’attirer votre attention au sujet des travailleurs voulant passer à Alger... Depuis que l’armée française a pris Alger, ils ne cessent de me harceler pour savoir si le gouvernement français de cette place veut bien qu’ils s’y établissent... Sachant que de Majorque et de Mahon ont embarqué plusieurs personnes pour Alger, depuis, il me vient tous les jours une quantité d’hommes, la majeure partie mariés avec des enfants pour aller là-bas, me disant qu’ici ils meurent de faim, ne mangent plus qu’un morceau de pain d’avoine, que bien souvent il manque même cet aliment. Ils veulent aller voir si, avec leur travail et celui de leur famille, ils peuvent gagner de quoi subsister".

La réponse du général Clauzel, commandant à Alger, sera favorable, ajoutant qu’il est disposé d’accorder le passage gratis sur les bâtiments de l’État, sous réserve qu’on lui fournisse une liste de candidats justifiant de leur moralité. Une disposition aussi propice ne sera pas toujours affirmée. Le gouvernement français fera souvent preuve d’atermoiements.

Ces migrants seront fréquemment qualifiés, à l’époque, "d’écume méditerranéenne", voire par Bugeaud de "rebut de la Méditerranée". Tantôt, le pouvoir facilitera cet exode. Tantôt, il le restreindra, en imposant des critères d’exclusion. Pourtant, une émigration, légale ou illégale, se poursuivra et on évaluera à 781, dès 1832, le nombre de Mahonnais travaillant à Alger dans la reconstruction. [...]

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Mis en ligne : Samedi 29 Janvier 2022
 
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