Qui était Ferhat Abbas, le premier président post-colonie
Ferhat Mekki Abbas est né le 24 août 1899 dans la commune de Chahna dans la wilaya de Jijel. Son père était un proche des Oulémas, une frange de la société Algérienne composée de théologiens en Islam.
Après l’obtention du Baccalauréat, il entama des études de pharmacie à l’université d’Alger qu’il interrompit en 1921 pour accomplir son service militaire. Ferhat Abbas a épousé en premières noces Fatma-Zohra Benkhellaf.
Il se rapproche par la suite de Marcelle Stœtzel, de parents alsaciens, née en 1909 à Bouinan. C'est avec elle et avec son ami le pharmacien Mohammed El Hadi Djemame que Ferhat rédige le Manifeste du peuple algérien. Arrêtée le 8 mai 1945, Marcelle Stœtzel fut emprisonnée à cause de son soutien aux anticoloniaux, dans les prisons d'El Harrach, au camp d’Akbou et à Relizane. A sa libération, en mars 1946, elle convola en justes noces avec Ferhat. Elle accepta avec fierté de porter le prénom de Zahia donné par sa belle-mère. N'ayant pas eu d'enfants, le couple adopte dès sa naissance un neveu.
Cet humaniste convaincu s’est jeté dans toutes les batailles menées au nom des causes justes et particulièrement celle que son peuple a menée pour s’affranchir du joug colonial. Ferhat ABBAS disait du vingtième siècle qui se meurt qu’"il a été le siècle du sang et des larmes et c’est nous indigènes qui avions saigné et pleuré".
Homme des joutes oratoires, il organisa la manifestation mémorable de Sétif en 1934 pour dénoncer vivement l’occupation de la Libye par les troupes d'Italie. En 1926 il fonde un journal. Les articles seront plus tard publiés sous le titre Le Jeune Algérien en 1930, année du centenaire de la colonisation.
Dès son installation comme pharmacien à Sétif, Ferhat Abbas se lance dans le combat politique dans sa ville d’adoption et se fait élire entre 1930 et 1935 membre du Conseil municipal de Sétif. Dans le cadre du Congrès musulman, il participe avec des Oulémas et des Communistes, à l’élaboration d’une "Charte revendicative du peuple algérien " dont la revendication essentielle était l’émancipation des Algériens musulmans.
En 1938 Ferhat Abbas crée l’Union Populaire Algérienne (UPA) dont les principaux axes sont l’égalité des races, la fraternité humaine et la liberté politique. Le 10 février 1943 Ferhat Abbas se rend à Sétif.
Le Manifeste du peuple algérien
Il y rédige avec son ami Djemam, pharmacien lui aussi, vivant à Jijel, "Le Manifeste du peuple algérien", texte dans lequel il fait le bilan négatif de 112 années de colonisation et demande l’abolition de la colonisation, l’application du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et une Constitution pour l’Algérie. Ce texte est suivi d’un autre document appelé "L'additif" qui, au grand dam des autorités coloniales, est approuvé et signé par des élus représentant l’administration.
Il remet le 20 décembre 1942 aux Alliés débarqués à Alger un mémoire. Dans le but de faire connaître le Manifeste, Ferhat Abbas crée le journal L’Egalité. Cela lui vaudra d’être arrêté pour provocation et envoyé en résidence surveillée à Tabalbala dans le Sud oranais. Il sera libéré le 02 décembre 1943. En 1946 il est libéré après avoir purgé une peine d'un an de prison suite aux événements de Sétif.
En 1946, il fonde l’UDMA (Union Démocratique du Manifeste Algérien) ce qui lui permet de participer aux élections de la deuxième Constituante qui ont lieu la même année et d’enlever 11 sièges sur 13. Le 09 août 1946, il dépose sur le bureau de l’Assemblée Française le premier projet de Constitution de la République Algérienne. Il prend l’initiative de former l’intergroupe des députés d’outre-mer avec Lamine Gueye, Senghor, Reseta.
Ferhat ABBAS publie alors son célèbre pamphlet J’Accuse l’Europe dans lequel il lance : "Quand les nationalistes français nous offrent le culte de Jeanne d’Arc ou tout simplement celui de sainte Geneviève comme symbole de l’idéal patriotique, que peuvent faire nos mères musulmanes sinon refuser leur acquiescement".
Les élections frauduleuses à la Naegelen passent dans les mœurs. Tout est mis en œuvre pour réduire l’UDMA à une présence symbolique.
De quoi demain sera-t-il fait ?
À cet immobilisme voulu par la colonisation, Ferhat Abbas publie en février 1948 un ouvrage intitulé Du Manifeste à la République Algérienne, ouvrage dans lequel il note que la République Algérienne est en marche et qu’il y aura une patrie moderne pour chaque peuple libre.
Dans le chapitre "De quoi demain sera-t-il fait ?", Ferhat Abbas pose les fondements de cette construction. Au déclenchement de la lutte armée de libération nationale en novembre 1954, il se lance dans la lutte d'indépendance aux côtés du FLN.
En septembre 1955, Députés et Sénateurs doivent décider de l’avenir de l’Algérie et "61" d’entre eux, représentant une majorité, ont voté pour l’orientation présenté par Ferhat ABBAS, à savoir reconnaissant le droit pour l’Algérie de devenir une nation. Il réclama ensuite les négociations directes avec le FLN.
En septembre 1958, Ferhat Abbas devient président du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA) jusqu'en octobre 1961.
De l'indépendance à sa disparition
Ferhat Abbas est élu, au mois de septembre 1962, premier Président de l’Assemblée Constituante de l’Algérie indépendante.
Devant la confiscation du pouvoir législatif qui se préparait, Ferhat ABBAS démissionne de la présidence de l‘Assemblée et adresse, le 13 août 1963, une longue lettre aux députés.
Intitulée "Pourquoi je ne suis pas d’accord avec le projet de constitution établi par le gouvernement et le Bureau politique ", cette lettre qui fait date dénonce la politique de confusion et de concentration des pouvoirs et prédit des jours sombres pour le peuple algérien.
Arrêté, Ferhat ABBAS est emprisonné à Adrar dans le Sud du pays où il est sera atteint d’une maladie chronique qui l’emportera quelques années après.
Libéré le 8 juin 1965, il entreprend la rédaction de deux ouvrages : L’autopsie d’une guerre et L’indépendance confisquée.
L’Appel au peuple algérien
En mars 1976, il signe avec Benyoucef Benkhedda et Hocine Lahouel (anciens responsables du PPA/MTLD) et Cheikh Kheirredine (ancien responsable de l’Association des Oulémas) l’Appel au peuple algérien qui s’élève contre le projet de la Charte nationale et l’exercice du pouvoir personnel. Il est arrêté et assigné à résidence. Sa pharmacie est nationalisée, son compte bancaire bloqué et ses biens confisqués.
La mise en résidence surveillée qui le frappait sera levée durant l’été 1978 et le rétablissement de ses droits et la récupération de ses biens interviendront après 1980.
Ses livres sont publiés à l’étranger et interdits en Algérie jusqu’à l’avènement du pluralisme au début des années 1990.
Ferhat ABBAS décèdera à Alger le 24 décembre 1985. Il est inhumé au carré des martyrs d’El Alia à Alger.