Devant des jeunes issus de la diaspora algérienne et en présence de l’historien Benjamin Stora, qui se dit spécialiste de l’histoire de l’Algérie, le président français Emmanuel Macron s’est interrogé sur l’existence de la nation algérienne avant la colonisation française. Tout d'abord, ce questionnement qui est tout sauf naïf de sa part est bien mal venu lorsque l'on désire soi-disant la paix entre l'Algérie et la France. Mais surtout, à quoi bon s'entourer d'historiens si en 2021 on se pose cette question... Nous allons, à notre modeste niveau tenter de lui répondre.
Macron et l'Histoire, ça fait deux
Alors oui, on le sait par lui-même, Emmanuel Macron était probablement bon pour jouer le rôle de l'épouvantail au théâtre dans la pièce du Magicien d'Oz mise en scène par sa future femme d'alors, son professeur de Français à l'époque. Mais M. Macron n'a pas dû être très brillant en Histoire: Mais bien sûr que l'Algérie existait déjà avant la colonisation française! D'ailleurs, la France commerçait avec l'Algérie depuis plusieurs siècles. La France avait des ambassadeurs (des consuls à l'époque) en Algérie. L'Algérie était considérée comme le grenier à blé de l'Europe: par exemple Napoléon, pour nourrir son armée, s'était fourni auprès de l'Algérie.
Est-ce que la France existait avant la colonisation de l'Algérie?
On peut d'ailleurs se poser la même question M. Macron, la France existait-elle avant la "conquête" de l'Algérie? En effet, si on estime que la république d'Algérie c'est l'Algérie, et que cette république a vu le jour après l'indépendance envers la France, alors la France serait définie par sa république française, qui a vu le jour en 1875, soit 28 ans avant la reddition du roi d'Algérie en 1847, l'émir Abdelkader. Voilà, ça ne tient pas! L'existence de la France ne se limite pas à sa jeune république française, tout comme l'existence de l'Algérie ne débute pas avec sa très jeune république algérienne.
On pourrait remonter très loin dans le temps mais déjà, les Ottomans avaient rattaché l'Algérie à leur empire. L'Algérie était alors respectée, considérée comme stratégique et symbolique, faisant pleinement partie de leur empire: "il n’est pas exagéré de dire que l’Algérie fait partie de nous, les Turcs. Après la destruction de l'Andalousie, les musulmans ont été protégés parce qu’ils ont préservé l'État ottoman, qui apportait une grande aide aux musulmans, qui ont été tentés de se christianiser, parce qu’on les y forçait. L’Algérie ancienne a été sauvée avec le sang des soldats turcs décédés qui ont été martyrisés en Algérie. La tombe d'Oruç Reis, qui a combattu corps à corps contre les Espagnols pour cette cause, est encore inconnue.". (Source: Cezayir'in ele geçirilmesi İspanyollar tarafından)
L'Algérie avait adhéré à l’Empire ottoman et n’avait pas eu à l’affronter car les Algériens étaient fréquemment attaqués par le Royaume d’Espagne: les Ottomans ont repris toutes les grandes villes conquises par les Espagnols en Algérie.
Les relations France-Algérie avant la colonisation
Avant la colonisation française, on parlait de province ottomane mais il suffit de lire les lettres que les Consuls de France échangeaient avec les "Etats de Barbarie" pour se rendre compte que les nouvelles consulaires (courriers) évoquent bien évidemment le cadre de la vie de la capitale de la Régence, la ville d'Alger.
Le fonds d'archives du consulat de France à Alger est conservé au centre des archives diplomatiques de Nantes. Il a donné lieu en 1988 à la publication d'un inventaire rédigé par Pascal Even, Papiers du consulat de France à Alger. Inventaire analytique des volumes de correspondance du consulat de France à Alger, 1585-1798. Il s'agit pour l'essentiel des documents reçus par le poste consulaire. L'inventaire signale de nombreuses lacunes, notamment les archives pillées et détruites lors de l'expédition de Duquesne en 1683, mais aussi pour la période 1763-1767.
Les consulats français dans le Royaume d'Alger (qui désigne un vaste territoire d'Annaba à l'est à Oran à l'ouest) font un état des monnaies (piastres, sequins, aspres) et de leur cours, des poids et mesures (pans, grands et petits pics) et des droits de douane différenciés selon la provenance et la nature des marchandises. Nous sommes par là même informés des besoins et des goûts, des produits qui y répondaient: tel drap de Hollande, d'un rouge inimitable, est recherché par les Turcs; tel autre de Sedan, fin et léger est spécialement fabriqué pour les sarouals d'hommes d'Alger.
Il importe de noter que cette liste n’est ni un état exhaustif des fonds de l’époque moderne détenus à Nantes – elle ne tient pas compte des archives des ambassades et légations, très riches sur les questions consulaires grâce à la correspondance que ces postes entretenaient avec les consulats –, ni même un état de tous les fonds des consulats conservés à ce jour, puisque quelques-uns ne contiennent pas d’archives de chancellerie, soit à cause de disparitions ou destructions malheureuses, soit pour des raisons institutionnelles – les agences de la marine à Madrid et Amsterdam, par exemple, comparables à des postes consulaires par leur correspondance, n’étaient pas autorisés par les autorités locales à avoir de chancellerie –, soit enfin pour des raisons archivistiques – les registres de chancellerie du consulat d’Alexandrie et d’Alger sont respectivement conservés aux Archives de la marine à Toulon et au Centre des archives d’outre-mer à Aix-en-Provence.
Les Etats ou royaumes de Barbarie étaient composés de Tripoly (également Tripoli de Barbarie, la Libye), Tunis, et Alger. L’Algérie d’avant la colonisation s’appelait "le Royaume d’Alger" ; important: en arabe, Alger se dit El Djazaïr, ce qui veut aussi dire Algérie. Pourquoi les royaumes devenus des provinces ottomanes étaient appelés les Etats de Barbarie? Probablement parce que les Etats en question ont été enlevés des mains des Espagnols par Barbaros ou Barberousse, un capitaine renommé de l'armée ottomane qui a donc vaincu les flottes espagnoles!
Pour rappel, la France s'appelait avant Royaume de France et aussi la Gaule. Son territoire a subi de nombreuses modifications, les frontières définitives de la France sont très récentes, et pourtant personne n'a eu l'audace de dire qu'avant la guerre, la France n'existait pas. Les frontières actuelles de l’Algérie, qui incluent le sud du Sahara, qui n’avait pas été conquis par les Ottomans, sont le résultat d’une décision prise par l’Empire colonial français. A vrai dire, rares étaient les pays qui au 19ème siècle avaient des frontières définitives…
Mais que fait l'Algérie?
Les propos de M. Macron ont soulevé une vague d'indignation en Algérie. Personne ne s'attendait de sa part, à ce qu'il puisse oser poser la question de l’existence de l'Algérie avant la colonisation française, surtout de la part d'un homme d'Etat, qui se dit cultivé et qui est dans une soi-disant démarche de réconciliation entre les deux nations.
Mais au-delà de l'indignation, l'Etat Algérien ferait mieux d'arrêter sa posture attentiste à l'égard de la France. Les deux peuples veulent la paix et les lobbyistes qui l'empêchent depuis des décennies ne représentent qu'eux-mêmes! A ce titre, il serait bon de mandater des historiens algériens qui feraient eux aussi un rapport et leurs recommandations sur ce que chaque pays doit accomplir pour atteindre une paix durable et panser les plaies du passé non réglé. L'Algérie dispose de nombreux pôles universitaires et il serait impensable de trouver un équivalent, sinon mieux, à Monsieur Stora?
Macron critique la république algérienne
Lorsque récemment M. Macron a convié de jeunes algériens afin de faire la paix entre l'Algérie et la France, le président français s'est fendu d'une critique en qualifiant le système politique algérien actuel de "politico-militaire". Il n'y a pas si longtemps, la France était dirigée par le Général De Gaulle, n'était-ce pas là un système politico-militaire qui gouvernait alors? Et quel est le système politique qui gouverne la France aujourd'hui, est-il meilleur?
L'Algérie est un pays jeune, qui a besoin de patriotisme, d'unité et de réformes au pas de course, mais certainement pas de prendre exemple sur la gestion et la gouvernance que l'on observe désespérément en France.