Autrefois, la veille de l'Achoura, on préparait généralement une Chakhchoukha m’fèrmsa au poulet. Après le repas, toute la famille se réunissait pour la veillée. On étendait une grande nappe puis on servait dans des plateaux pêle-mêle des dattes, des figues, et bien d'autres fruits secs qu'on grignotait pendant toute la soirée. L'Achoura signifie "dîme" ou dixième et il tombe le 10ème jour du mois musulman de Moharam. Selon la loi (livre de l'Exode), les juifs devaient payer la dîme, comme un impôt pour aider les démunis. C'est-à-dire que l'Achoura perpétue une tradition judaïque.
Le lendemain, les enfants allaient de maison en maison en chantant. Des portes généreuses s'ouvraient et des petites mains, souvent bleuies par le froid matinal de Constantine, se tendaient : alors il pleuvait sur ces petites menottes quémandeuses des noix et des noisettes bien grasses, des dattes blondes, des cacahuètes odorantes, des bonbons dans leur papier argenté et des caramels dorés comme le miel. Toutes ces bonnes choses avaient vite fait de disparaître dans les poches et les petites gibecières qui se gonflaient au fur et à mesure du parcours. Mais avant de s'en aller, les enfants en choeur chantaient pour remercier leur bienfaiteur : "Heddi dar sidna koul' âm é'dzidna !", ce qui veut dire à peu près : "Cette maison, c'est la demeure de notre seigneur et que Dieu fasse que chaque année elle nous en offre davantage!".
Mais si, après avoir vainement toqué, portes et fenêtres restaient closes, les bambins entonnaient de leur voix criarde une chanson quelque peu revancharde: "Héddi dar bom-bom kharayine filbrom" ce qui peut se traduire à peu près ainsi:
"C'est la maison des radins où l'on fait ses besoins dans les chaudrons!"
Puis les gamins s'éloignaient de ces portes muettes, fredonnant déjà une autre rengaine.
Comptine les couleurs