Récemment, le président Recep Tayyip Erdogan a quitté la Turquie pour le continent africain pour une visite de quatre jours. Les médias d'État turcs ont mis l'accent sur les efforts humanitaires du pays et l'approche de décolonisation du continent. Les commentaires d'Erdogan ont rencontré un bel écho dans la capitale angolaise. Il a déclaré au président angolais Joao Lourenco: "La Turquie rejette les positions de l'Occident concernant le continent africain. Nous embrassons les peuples du continent africain sans discrimination.".
Le fait que la Turquie fasse la cour à l'Afrique n'est pas nouveau en soi. Vu sa proximité géographique, la Turquie lorgne sur ses consommateurs et ses ressources naturelles. Ses pays ont fourni à la Turquie l'occasion d'atteindre ses objectifs. Au cours des deux dernières décennies, la Turquie n'a cessé d'étendre ses missions diplomatiques en Afrique. Elle a également développé le commerce et déployé des efforts humanitaires dans certains pays africains.
Désormais la Turquie vend des drones turcs aux Africains. Les récentes interventions dans deux pays africains, semblent également aller dans le sens de certains analystes qui estiment que la Turquie pourrait aller au-delà d'une approche de soft power pour devenir un acteur qui change la donne dans la politique africaine. "Ses actions concrètes en Somalie, en Afrique de l'Ouest et plus récemment son implication militaire en Libye montrent clairement que la Turquie veut étendre son influence à travers le continent" a déclaré au média "Middle East Eye", M. Ibrahim Bashir Abdullah, chercheur en relations turco-africaines à l’université de Bayreuth en Allemagne.
Prolifération des drones turcs
Ces dernières années, les drones turcs se vendent comme des petits pains sur le marché international, attirant même des pays occidentaux comme l'Ukraine, la Pologne et même le Royaume-Uni.
Ils se sont également très bien vendus sur les côtes africaines. Fin septembre, le premier lot de drones armés turcs est arrivé en Tunisie, malgré les tensions dans les relations bilatérales après que le président tunisien Kais Saied ait pris le contrôle total du pays en juillet. Le Maroc fut le second client à élargir son stock militaire avec des drones turcs. L'achat a eu lieu alors que les tensions éclataient entre l'Algérie et le Maroc – et malgré les relations apparemment bonnes entre la Turquie et l'Algérie.
Plus tôt ce mois-ci, l'agence de renseignement africaine a rapporté que l'armée rwandaise se tourne vers les drones turcs dans ses opérations militaires au Mozambique.
L'Éthiopie est un autre pays qui s'intéresse aux drones turcs. Alors que les détails ont été gardés secrets à la suite du différend entre Addis-Abeba et Le Caire sur le projet de barrage Renaissance, le média "Reuters" a rapporté la semaine dernière que l'Éthiopie et la Turquie ont conclu un accord de vente. Grâce à cet accord, la Turquie diversifiera encore un peu plus ses accords commerciaux avec l'Éthiopie. La Turquie fournissait jusqu'alors des usines textiles, des chemins de fer et de nombreuses entreprises d'infrastructure. Cela fait de la Turquie le deuxième acteur étranger dans le pays après la Chine.
Enfin, le Nigeria a exprimé son intérêt pour les drones turcs, Belu Mohammed Matwali, le gouverneur de l'Etat de Zamfara, déclarant que les drones turcs devraient aider l'armée nigériane dans la lutte contre le crime organisé.
Les efforts de la Turquie pour étendre sa présence en Afrique remontent à 2005, que le gouvernement turc avait déclarée "Année de l'Afrique". L’année 2005 marque effectivement le lancement des missions diplomatiques, d’accords commerciaux et de vols. Au cours des 19 dernières années, Erdogan a voyagé dans près de 30 pays africains, plus de visites que tout autre dirigeant non africain. Le nombre des missions diplomatiques turques sur le continent africain a considérablement augmenté en passant de 12 missions diplomatiques en 2002 à 43 en 2021.
La Turquie utilise également certaines institutions publiques pour fournir une aide humanitaire et éducative. Par exemple, l'agence gouvernementale turque chargée d'aider les Turcs vivant à l'étranger a attribué des bourses à près de 6 000 étudiants africains. Les experts disent que l’objectif de la Turquie est la réussite économique sur le sol africain.
M. Ibrahim Bashir Abdullah a expliqué qu'il existe de grandes opportunités, en particulier pour les moyennes et grandes entreprises turques. Cependant, selon M. Emre Caliskan, membre du Foreign Policy Center d'Ankara: "L'essor du volume des échanges turco-africains est une illusion". Mais il a précisé que les ventes de l'industrie de la défense constitueraient un véritable boom pour les investissements de la Turquie en Afrique, car ce type de commerce nécessite "un partage des connaissances, un transfert de technologie et une coopération plus approfondie".
Une nouvelle stratégie africaine?
Avec ses investissements continus en Afrique, notamment avec les ventes de drones, les rapports de force ont changé en faveur des acheteurs. Les observateurs se demandent si la Turquie est désormais en concurrence avec des puissances internationales telles que la France, les États-Unis, la Russie et la Chine. Cette question est devenue d'actualité depuis que les drones turcs ont permis au gouvernement libyen, soutenu par les grands pays occidentaux, de stopper l'avancée de Khalifa Haftar vers la capitale, Tripoli, l'année dernière.
Pour certains spécialistes, Ankara aurait une stratégie très claire: La Turquie développe ses relations avec les pays voisins de la Libye pour établir une présence militaire afin d'assurer son assise durablement dans le nord du continent.
Pourtant, M. Emre Caliskan estime que la Turquie n'est pas intéressée par le maintien d'une force militaire en dehors de la Libye à cause des coûts financiers qu'elle peut engendrer. "Par exemple, la Chine vend des armes aux pays africains mais accorde également des prêts financiers" . Il a déclaré que la Turquie était incapable d'en faire autant en raison de la détérioration de sa propre économie nationale.
M. Volkan Ibek, professeur assistant à l'Université Yeditepe d'Istanbul, a déclaré qu'il pensait que l'Afrique était un "champ de réhabilitation" pour la politique étrangère de la Turquie. Ipek a déclaré que la Turquie a le dessus sur les puissances européennes en matière de politique africaine car elle n'a pas d'héritage colonial.