Peu de gens le savent, mais la présence des Juifs dans le Maghreb central et en Algérie en particulier, est très ancienne. De plus, la contribution des Juifs à la culture algérienne est importante.
Selon l'historien Ibn Khaldoun, avant la conquête musulmane du Maghreb, plusieurs tribus berbères pratiquaient le judaïsme. Il écrit : "Une partie des Berbères professait le judaïsme, religion qu'ils avaient reçus de leurs puissants voisins, les Israélites de la Syrie. Parmi les Berbères juifs, on distinguait les Djeraoua, tribu qui habitait l'Aurès et à laquelle appartenait la Kahena, femme qui fut tuée par les Arabes à l'époque des premières invasions...". D'ailleurs le nom de la reine berbère viendrait de Kohen (ou Cohen), qui signifie prêtre en hébreu.
Au contact des Juifs, le vocabulaire algérien s'est enrichi de plusieurs mots hébreux. Il est difficile toutefois de distinguer ce qui vient de l'Hébreu et de l'Arabe, car ces deux langues sont issues de l'Araméen. Toutefois, l'usage de l'Hébreu a précédé celui de l'Arabe. Encore aujourd'hui, on peut entendre chez les Berbères l'expression alimentation kasher ou saucisson kasher au lieu de halal, et ce n'est qu'un exemple.
Les premiers Juifs arrivèrent en Algérie aux époques carthaginoises et romaines. Plus tard, des milliers de Juifs arrivèrent d'Espagne en Algérie aux 14e et 15e siècles suite à la Reconquista. Dès les années 1000, des tribus juives d'Algérie se convertirent à l'islam. En effet, en terre d'islam, les sujets juifs et chrétiens étaient, depuis le règne des Almohades, soumis à des taxes plus lourdes que les sujets musulmans et à de mauvais traitements. Or pour les Juifs, peuple d'exilés, la Torah était un repère fondamental qui les reliait aux valeurs de leurs pères. C'est pourquoi certains Juifs s'étaient convertis à l'islam officiellement mais pratiquaient toujours le judaïsme dans les faits. D'anciennes synagogues ont été découvertes récemment par les archéologues dans les villes de Sétif et Tipaza, ce qui prouve encore que la présence des Juifs en Algérie est très ancienne. La Grande Synagogue d'Oran, l'une des plus belles d'Afrique, a été transformée en mosquée après l'indépendance du pays. Quant aux autres synagogues d'Algérie, elles ne sont plus fréquentées par les rares Juifs qui vivent encore en Algérie, pour des raisons que l'on imagine aisément.
La culture juive fait partie de la culture algérienne. En effet, son influence est présente dans la joaillerie (les orfèvres étaient souvent Juifs), dans les vêtements aux broderies d'or à la mode andalouse, dans la cuisine avec les mets apportés par la communauté juive comme la loubia, la douida, la richta, le zlabia (le "bretzel" sucré algérien !), la tomina ou tamina ... Quant à la contribution des Juifs à la musique andalouse algérienne (qui regroupe le chaabi, le maalouf et le hawzi) elle a été très importante. Aux côtés des grands noms de la chanson algérienne dont les musulmans sont des artistes incontournables comme El hadj El-Anka, Mustapha Skandrani, Dahmane el Harachi..., on trouve de nombreux musiciens juifs talentueux et populaires, parmi lesquels :
Salim Halali (Dour Biha Ya Chibani, Sidi H'bibi, Mounira...) : Avec sa voix aux airs romantiques et mélancoliques, il a interprété avec talent les chansons d'amour traditionnelles ! Son style a été imité par de nombreux contemporains algériens.
Lili Boniche (Ana el Warqa, Ana Fil Hob, Ya qalbi kheli el hal...) : Il est aussi célèbre en Algérie qu'en France où l'on apprécie son style oriental aux influences tango et musette !
Cheikh Raymond Leyris (Na Houakoum Lahbeb, Sabri Qlil...) : Chef d'orchestre de maalouf constantinois, c'est le maître et le beau-père d'Enrico Macias. Il a été lâchement assassiné par un homme hostile à la communauté juive. Cheikh Raymond reste une référence pour les musiciens et les amateurs de musique arabo-andalouse typiquement constantinoise.
Reinette l'Oranaise (Nirane Chaâla Fi Knani...) : Elle avait perdu la vue à l'âge de deux ans, mais cela ne l'a pas empêchée de faire passer des émotions grâce à la musique.
Alice Fitoussi (Istikhbar, Ouine enbatou...) : Elle fait partie des rares artistes juifs qui sont restés en Algérie après l'indépendance. Par amour de la musique, elle a chanté dans le style al-madih (chant religieux musulman).
Luc Cherki (Ya Ghadi Lessahra...) : Ses chansons au style très algérois ont souvent un rythme dansant !
Enrico Macias (Koudam Darek, Constantine...) : En France, il est surtout connu du grand public pour ses chansons françaises populaires (Le Mendiant de l'Amour, Les Filles de mon pays...) mais pour les Algériens, c'est d'abord un interprète de musique arabo-andalouse.
Information importante : Cet article a pour objectif d'évoquer l'origine des Juifs algériens et la contribution de la culture juive à la culture algérienne. Notamment, il ne s'agit pas ici de critiquer les pays musulmans ou de faire un parrallèle avec la politique actuelle dans n'importe quel pays. C'est un fait que la population juive a souffert à certaines époques en terre d'islam et cela n'est évoqué que pour expliquer pourquoi peu de Juifs vivent aujourd'hui en Algérie.
Mohamed REDA, interpretant une chanson de Salim LAHLALI - "Mounira" (ambiance)