Khalida Toumi Messaoudi symbolise la lutte des femmes

Khalida Toumi - portrait
Khalida Toumi - portrait

Le 8 mars 2003, on célébrait la Journée internationale de la femme, en même temps, l'année de l'Algérie en France. A l'occasion de ces deux évènements, des journalistes français ont rencontré Khalida Toumi Messaoudi, ministre de la Culture et de la Communication, porte-parole du gouvernement algérien, qui a été qualifiée de femme courage par le journal El Moudjahid.

"Il est plus de vingt heures, quand Khalida Toumi Messaoudi nous reçoit dans son bureau du ministère de la Culture. En cette période de Ramadan, le jeûne est rompu depuis plus de trois heures et nous avons discuté face à la baie d'Alger. Illuminée, la ville s'étend tout le long de son front de mer et semble tendre les bras vers sa cousine jumelle de l'autre rive, Marseille. Repue, la capitale se laisse envahir par le parfum de la fleur d'oranger et porter par la torpeur du premier repas de la journée. Belle, jeune mais avec la conviction que procure l'expérience, Khalida Toumi Messaoudi nous parle de la situation de la femme dans son pays, et de l'action qu'elle compte mener au sein du gouvernement. Devant un verre de thé qu'elle nous sert elle-même, naturelle, elle commence l'entretien par un hommage aux Algérois.

Khalida Toumi Messaoudi symbolise la lutte des femmes dans la période la plus sombre de l'Algérie indépendante, et bénéficie d'une certaine crédibilité auprès de la population. De par sa fonction de porte-parole gouvernementale, une mission accordée de fait au ministre de la Culture et de la Communication, elle est en retrait de la présidence de RA.C.H.D.A. Une association qu'elle a participé à créer, qui milite sur le terrain auprès des femmes victimes du sexisme par l'intermédiaire de "Darna", un centre social qui accueille des femmes victimes du terrorisme et abandonnées par leur famille. RA.C.H.D.A. effectue aussi des campagnes d'information et de mobilisation auprès de la société algérienne.

Mur - tag pro islamiste en Algérie
Mur - tag pro islamiste en Algérie

Avant d'entrer au gouvernement, Khalida Toumi Messaoudi a toujours milité dans l'opposition, tout d'abord dans la mouvance trotskiste, avant de rejoindre le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie, le RCD. Elle a accepté ces responsabilités dans l'espoir de voir abroger le code de la famille, "ce sur quoi le président de la République s'est engagé."

Votre entrée au gouvernement a été interprétée par beaucoup de vos compagnons de route de l'opposition démocratique comme un virage carriériste, que répondez-vous à ces accusations?

Ma principale motivation pour entrer au gouvernement est de porter la voix des femmes dans les plus hautes sphères de l'Etat. Nous devons, en tant que femmes, conquérir des espaces et des droits, y compris dans l'hémicycle politique, en tentant de convaincre un maximum de ministres, en interpellant la société civile et politique sur notre condition. Nous devons faire avancer la situation de la femme et ce, par tous les moyens. J'entends par-là que nous ne devons pas nous interdire certaines opportunités. Ceux qui voient là la réalisation d'une ambition personnelle, je leur réponds que je suis au service de ma cause, celle des femmes, qui n'est inféodée à aucun parti, et ces motivations sont bien plus importantes pour moi qu'un portefeuille ministériel. En clair, si je ne vois pas de retour positif sur mon action, je ne resterai pas au gouvernement.

Pourquoi, selon vous, va-t-il être possible de faire évoluer la condition de la femme en Algérie, et comment comptez-vous agir concrètement dans ce sens?

Je suis membre d'un gouvernement qui a un programme. Ce programme a notamment comme objectif de mettre en conformité les lois qui régissent la vie des femmes sur le plan social et politique, avec la Constitution algérienne. Le texte de loi qui contredit de la manière la plus flagrante la Constitution algérienne, est le code de la famille. La Constitution algérienne dit très clairement que la femme est l'égale de l'homme dans l'article 29. L'article 31 énonce par ailleurs que les institutions ont pour finalité d'éliminer tous les obstacles à l'application de la Constitution qui est la loi des lois. Il y a donc une contradiction flagrante avec le code de la famille qui place juridiquement l'épouse en dessous de son mari. De plus, le gouvernement auquel j'appartiens a créé un ministère délégué à la condition féminine. C'est une première en Algérie et l'existence même de ce ministère montre bien qu'il y a un problème, "des pesanteurs sociologiques" comme je l'entends très souvent. Le contexte est donc propice à des avancées, le reste est une affaire de combat... C'est aux femmes élues, moi en premier, de porter leur parole là où nous sommes.

Quelles sont vraiment vos chances de réussir, au regard de ce que vous nommez des "pesanteurs sociologiques"?

Si nous n'obtenons pas satisfaction, je le répète, je quitterai mon poste ministériel, mon engagement pour la lutte des femmes est beaucoup plus important. Maintenant je ne crois pas que ce soit tout à fait comme ça qu'il faille stratégiquement aborder le problème aujourd'hui. Les femmes doivent aussi apprendre à négocier pour ne perdre sur aucun plan. Dans le monde entier, nous devons conquérir des droits et les espaces nécessaires pour le faire. Une tactique veut qu'il faille un espace pour en conquérir un autre. D'autres pensent qu'il faut à tout prix conquérir l'espace politique même si c'est au détriment des autres sur le terrain.

J'entre dans une catégorie qui croit qu'il faut occuper tous les espaces, ne déserter aucun combat. Réussirons-nous ? Pas forcément, mais l'important est de ne jamais trahir les fondements de notre engagement. Pour cela nous n'avons comme chacun que nos garde-fous personnels. Pour les femmes algériennes, ces gardes fous s'appuient sur un vécu. Ce sont les années d'horreur que nous traversons, et l'héritage vivant de celles que j'appelle la mère plurielle. Les femmes de la lutte de libération nationale, leurs expériences, m'aident particulièrement. Ce sont plus que des références, c'est une richesse au quotidien, inestimable.

Si le bilan de la condition de la femme en Algérie est bien noir, elles sont pourtant de plus en plus nombreuses à travailler. Est-ce un facteur déterminant dans votre combat?

Bien sûr, car l'accès à l'emploi pour les femmes a toujours été synonyme d'avancée sur le long terme. Il n'y a qu'à voir l'exemple français et le rôle des deux guerres mondiales pour l'émancipation de la femme. Seulement c'est un facteur qui a ses limites, car il ne joue que dans une sphère précise, le monde du travail, et n'a pas de grandes répercussions sur l'extérieur, le reste de la société. Prenons l'exemple des médias. Au regard du nombre d'assassinats, de crimes perpétrés contre la femme ces dernières années, peu de place est attribuée à cette problématique en tant que telle. Pourquoi? Parce que les médias restent un pouvoir essentiellement masculin. Même s'il y a de plus en plus de journalistes femmes dans les rédactions, les rênes du pouvoir sont toujours tenus par des hommes.

Découverte d'une ceinture explosive à Batna pendant la décennie noire
Découverte d'une ceinture explosive à Batna pendant la décennie noire

C'est toujours le même problème, les femmes doivent conquérir les espaces de décision. Pour faire évoluer les mentalités, il est primordial de rendre illégitime l'oppression de l'homme sur la femme, actuellement elle a un socle juridique, elle est plus que légitime, elle est la norme. C'est assez ahurissant car la femme algérienne s'est toujours battue. Elle a joué un rôle de premier ordre pendant la guerre de décolonisation, et par la suite dans le développement du pays. Une fois de plus, dans les dix ans d'horreur que nous venons de connaître, elle était en première ligne, et ce sont principalement les femmes qui ont résisté. Elles étaient les plus exposées au terrorisme, par le fait même d'être une femme. Les choses doivent changer.

Les jeunes Algériens ont aussi particulièrement souffert du climat social. Ils ont grandi au milieu d'une guerre civile, de la terreur, sont confrontés au chômage de masse... La consommation de drogue et la délinquance ont fortement augmenté ces dernières années. Quel regard portez-vous sur ce corps social?

En dépit de la singularité de cette période qui vaut pour l'ensemble du pays, la jeunesse algérienne a les mêmes problèmes que les jeunes du monde entier. C'est-à-dire qu'elle a son monde, elle le vit avec ses valeurs, son langage, ses codes de socialisation, et comme d'habitude les adultes qui ne comprennent pas tout, ont peur des jeunes. Je suis enseignante de formation et je connais donc bien les jeunes, ils savent plein de choses. Pour grandir individuellement et collectivement les jeunes se sont toujours démarqués de leurs parents, ici comme ailleurs. Maintenant les problèmes sociaux auxquels vous faites référence relèvent de politiques très précises, et c'est aux ministères compétents de les appliquer, et d'en parler.

Quelle vision avez-vous de la France, avez-vous eu le sentiment d'avoir été soutenue dans la période que vient de traverser l'Algérie?

L'Algérie s'est retrouvée seule face à ces problèmes, et nous avons eu peu de soutien en général. En revanche, nous avons reçu beaucoup de leçons des Européens et des Français en particulier. Notamment lorsque le processus électoral a été suspendu pour éviter l'arrivée au pouvoir du FIS. L'on nous a alors reproché d'être antidémocratiques. C'est "amusant" d'ailleurs quand on voit la réaction de la société française au moment où Jean-Marie Le Pen est arrivé au deuxième tour des élections présidentielles. Une réaction très saine, certes, mais ce sont souvent les mêmes personnes qui nous donnaient des leçons de démocratie quelques années plus tôt, qui étaient cette fois dans la rue. Il ne faut pas oublier que pour nous, la sanction était la mort, les meurtres des islamistes se comptent en centaines de milliers, comme les tortures. Le FN reste dans une certaine limite démocratique, c'est pourquoi certaines leçons étaient insupportables... Ce qui n'empêche pas que nous ayons plein de choses à apprendre des Européens, vice-versa.

Que diriez-vous aux jeunes d'origine algérienne qui vivent en France ?

Je dirais aux immigrés qu'ils restent eux-mêmes : des Français remplis de la générosité, de la chaleur du soleil de la Méditerranée.

Propos recueillis par Cédric Morin

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Mis en ligne : Lundi 14 Mars 2005
 
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