Pourquoi les hommes noirs riches ne veulent que des femmes blanches [Dossier]
Ce dossier est tiré d’une des chroniques "Société en Débat"; il ne s’agit pas d’une transcription exacte de la chronique audio, mais d’un complément d’information, d’une présentation plus complète du sujet : Pourquoi la plupart des athlètes noirs de renommée se marient avec des femmes blanches ?
Nous avons été particulièrement intéressés par le témoignage de Jade, femme noire qui s'est intéressée à la question des couples entre hommes noirs et femmes blanches, elle semble étrangement découvrir ce sujet qui est pourtant connu de tous depuis 30 ans. Nous vous laissons découvrir ses arguments et son raisonnement.
"Pour remettre les choses dans leur contexte, je n’ai pas moi-même lancé la question sur les réseaux sociaux. En revanche, dès que j’ai posé la question "Pourquoi les femmes noires se mettent en couple avec des hommes blancs ?" (très demandé après la première) et "Les enfants mixtes sont-ils la réponse au racisme ?" j’ai provoqué une réaction rageuse. Il est aussi intéressant de noter que "Les relations entre hommes noirs et femmes blanches" fut le premier sujet que j’ai eu à défendre. Il me revient encore à l’esprit ma surprise lorsque Cyrille (le producteur) m’avait téléphoné après avoir reçu l’annonce de mon sujet. Je n’avais donc jamais reçu un appel et encore moins pour discuter de la validité de mon choix, mais apparemment mon sujet valait une intervention immédiate.
– "Jade ! Ton sujet ! Les athlètes noirs qui sortent avec les blanches ? Je ne vois pas ce qu’il y a à dire là-dessus et encore moins pendant 15 mn ?!", avait-il aussi embrayé. "Tu n’as pas mieux à me proposer ?". J’avoue avoir été étonnée de son appel et encore plus du fait qu’il ne voyait ni l’intérêt, ni la pertinence de mon sujet. L’étonnement passé, j’ai opposé une envolée d’arguments, sollicitant Patricia Hill Collins, Amandine Gay, les campagnes de Hashtags, des chansons de ralliement scandées par MWASI lors de leur manif… Tout ce qui me venait à l’esprit pour le convaincre de me laisser en parler au micro. Du même coup, j’avais réalisé l’ironie de la situation : toutes les femmes noires CIS à qui j’avais parlé de ma chronique avaient aussitôt hoché la tête d’un air entendu, puis embrayé sur une longue liste d’anecdotes personnelles sur le sujet. En revanche le seul homme noir CIS qui en entendait parler, avant l’enregistrement, trouvait l’idée nébuleuse, anecdotique et impossible à animer comme chronique. L’appel a duré une bonne demi-heure au bout de laquelle Cyrille m’avait simplement dit : "Ok ! Ok ! De toute façon j’entends à ta voix que tu ne lâcheras pas l’affaire. On verra ce que ça donne jeudi". J’avais compris le défi. J’avais intérêt à convaincre ! Ce fut au final la chronique qui fit décoller mon segment à l’émission !
Pour en revenir au sujet, c’était Lynden Antonio, joueur des Washington Redskins, qui en mars 2017 avait posté une photo sur son compte Instagram accompagnée de la fameuse interpellation envers les hommes noirs. Ce footballeur est alors lui-même marié à une femme noire et père d’une petite fille noire. A priori, la question le taraudait non pas en raison de son couple personnel, mais parce qu’il avait constaté être en complète minorité vis-à-vis de son milieu professionnel. Une réalité qui l’avait tant choqué qu’il avait décidé d’en faire un sujet de post Instagram. Si, en soi, interpeller les hommes noirs sur leurs préférences sexo-amoureuses aurait pu suffire à attirer l’attention des médias, ce fut le commentaire d’un certain Maserati Rick qui déclencha la tempête des réseaux sociaux. Maserati est allé offrir des explications "claires, nettes et précises" sur les raisons du "pourquoi les hommes noirs sortent avec des femmes blanches". Son commentaire (et le post) devinrent immédiatement viraux.
Voici un extrait de son commentaire (traduction libre) : "La réponse est simple mon frère, la plupart de nos sœurs ont été éduquées dans des foyers brisés, et ne possèdent pas le savoir adéquat sur la manière de traiter un homme. Du coup, elles gâchent pas mal de relations. La plus grande différence c’est qu’une femme blanche connaît sa place et accepte son rôle en tant que femme, elle laisse le rôle de leader à l’homme. Les femmes noires s’imaginent que c’est supposé être du 50/50 et tu dois vraiment manquer d’éducation pour croire une telle chose. Les femmes noires sont têtues, étroites d’esprit, et veulent constamment argumenter et être la patronne. Les hommes n’aiment pas ce type de conneries. Encore plus si tu réussis dans la vie. Les jeunes athlètes noirs sont à la recherche de femmes qui sont prêtes à se soumettre.". (Le post original est un peu plus long mais disons que nous avons compris l’essentiel de son propos avec cet extrait).
Notons tout d’abord la dichotomie immédiate faite entre femmes blanches et femmes noires dans le commentaire de Maserati. En effet, la question initiale de Lynden était "Pourquoi les hommes noirs sortent avec des femmes blanches ?". Ce qui aurait pu signifier "à l’exception de toutes les autres".
Les autres pouvant regrouper les femmes noires (certes) mais également les femmes issues des communautés asiatiques ou encore des communautés arabes, latines, etc. Mais Maserati interprète la question autrement : les hommes noirs, du fait de leur appartenance aux communautés noires, devraient favoriser les femmes de leur propre race, ce qu’ils ne font pas, et recherchent avant tout les femmes blanches. Et selon lui, et c’est toute l’importance de la perfidie de son commentaire, c’est de la faute des femmes noires avant tout ! Les femmes noires ne sont pas des compagnes à la hauteur des enjeux. Elles sont littéralement tenues responsables de l’échec des hommes noirs. Elles ne sont pas prêtes à faire leur job.
Sa réponse va tourner sur les réseaux sociaux et provoquer de nombreuses réactions (de nombreuses critiques, mais aussi pas mal d’appuis). Lorsque j’ai défendu mon droit à parler du sujet, mon producteur m’a fait remarquer que ce type de commentaire haineux se trouvait à la pelle sur internet. "Tu ne peux pas faire une chronique de 15 minutes sur UN message d'un imbécile sur les réseaux sociaux car alors tu seras obligée de faire des chroniques sur le sujet toutes les semaines !"
Et sur le coup j’ai trouvé sa réaction vraiment intéressante. Adresser le sujet comme une "controverse" n’avait aucun sens à ses yeux car finalement c’était extrêmement banal comme commentaire. C’est du contenu problématique certes mais répandu, répétitif et finalement rien qui sorte de l’ordinaire ! Un homme noir qui bashe les femmes noires au profit de femmes blanches ? Rien de neuf sous le soleil. Passons à autre chose. Notre désaccord est intéressant à plus d’un titre…
Cette banalisation du phénomène s’accompagnait pour ma part d’une impression amère de déjà-vu. Cette opposition femme noire cis et femme blanche cis, de la part des hommes noirs cis de nos communautés, est une réalité bien connue, trop connue. Au point qu’il ne me fallait que quelques minutes de conversation avec des femmes noires cis pour que des exemples personnels leur viennent en cascade. De manière plus "globale", on pense tout de suite au traitement reçu par les femmes noires célèbres, victimes de milliards de commentaires et d’une couverture médiatique dénigrante. Des arguments qui s’enracinent dans la misogynie noire et touchent Michelle Obama ou Christiane Taubira en passant par Serena Williams et Viola Davis. Quelques semaines avant ma chronique, c’était le traitement de Leslie Jones (notamment sur Tweeter) qui venait spontanément dans les conversations sur le sujet.
Le problème n'est pourtant pas limité aux célébrités. Le film d'Amandine Gay "Ouvrir la voix" en est le parfait exemple. Le documentaire est centré sur les expériences des femmes noires issues de la diaspora africaine et caribéenne, sans l’affirmer ouvertement, trahissait la même réalité où les hommes noirs leur disent : "Moi je ne sors pas avec des noires".
C’était terminé avant même d’avoir commencé
Face à toutes ces histoires, ces témoignages, mais aussi les divers supports et plateformes où l’on retrouve ce même traitement des femmes noires, je me suis dit qu’il était temps d’aller voir du côté des statistiques. Qu’en est-il des chiffres lorsqu’on s’interroge sur les relations interraciales ? Les hommes noirs se mettent-ils effectivement en couple beaucoup plus avec des femmes blanches ?
Qu’en est-il des mariages par exemple ? Est-ce une véritable tendance, qui se vérifie sur le terrain, ou juste le cas de micros exemples passés à la loupe grossissante une fois atteint les réseaux sociaux et les médias ?
Les statistiques furent particulièrement éclairantes sur le sujet. Aux États-Unis, par exemple, elles confirment qu’au niveau des mariages, les hommes noirs vont bien moins se marier à l’intérieur de leur groupe racial que les femmes noires par exemple.
D’autres chercheurs se sont penchés sur le cas des applications de rencontres qui ont inondé le marché ces dernières années, en tentant une expérience : demander à des hommes issus de différentes communautés de hiérarchiser leur type de femmes, des plus désirables aux moins désirables, en matière d’appartenance communautaire. Un constat : quel que soit l’homme interrogé, son origine, les femmes noires n’arrivent jamais en premier. Y compris pour les hommes noirs. Et non seulement elles ne sont jamais citées comme "plus désirables" ou "plus recherchées" sur les applications de rencontres, mais en plus elles arrivent bien plus souvent en dernier choix. Le bas de l’échelle.
Enfin, certaines recherches ont permis d’évaluer le taux de réponse sur les applications de rencontre en fonction de l’appartenance raciale. Et il s'avère que quel que soit le receveur, les femmes noires sont celles à qui on répond le moins. Ainsi sur le marché des rencontres sexo-affectives, les femmes noires sont les moins recherchées. Celles que l’on contacte le moins. Et celles avec lesquelles on n’envisage pas de fonder un foyer ou d’avoir une relation amoureuse (ces études sont menées dans une option entièrement binaire et cis-centrée et ne prennent absolument pas en compte les femmes noires trans ou encore les personnes non binaires).
Donc non seulement ça "pique", mais ça blesse ! Et cela ne semble pas s’arrêter. Dans une véritable vantardise quant au fait d’être noir, et de tout avoir de noir, des hommes noirs listaient : la grosse voiture, le téléphone, la montre, la carte de crédit, etc. Mais avoir une femme blanche à la maison. Et pour bien comprendre tous les enjeux qui se jouent, il faut percevoir l’angle de réussite sociale qui se dessine. C’est-à-dire que le message véhiculé était "nous avons tellement réussi dans la vie, qu’on a tout de noir mais que notre femme est blanche". La réussite financière et sociale, le fait de grimper les échelons, sont littéralement symbolisés par l'union interraciale. Dans ce contexte donc, la femme blanche n'est pas uniquement une femme blanche, la femme blanche devient LE signe de réussite.
Et la femme noire dans tout ça ? A lire comme le symbole de l’échec : celle qu’on a pris à défaut d’avoir pu "faire mieux".
Et là-dessus je m’interroge : comment en est-on arrivé là ? Comment en est-on arrivé à un point où même les hommes de notre propre communauté ne considèrent pas l’idée de former des couples avec des femmes noires comme un prospect désirable ? Et pire, comment une telle position peut s’accompagner d’une telle fierté ? Comment est-ce que la femme noire est devenue, dans l’imaginaire affectif et même collectif, associée à l’échec ? Car c’est là toute l’importance du discours: le choix d’être en couple avec des femmes blanches s’accompagne d’un véritable dénigrement des femmes noires. Comme l’a très bien illustré le commentaire de Maserati Rick.
Tout d’abord du côté de la "recherche scientifique". On s’entend qu’il y a eu une véritable masse d’articles "de science" racistes donnant une foule d’explications au "pourquoi du comment" les femmes noires seraient moins désirables que les autres. On se rappelle les arguments, plus fallacieux les uns que les autres, qui étaient supposés prouver la supériorité de la race blanche sur la race noire. Littérature qui avait succédé à la littérature religieuse, notamment durant la période coloniale.
Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’y a même pas besoin de remonter “aussi loin” pour trouver ce type de sources. Il est possible de citer l’article de Satoshi Kamazawa qui a avait publié un article sur le site "Psychologic Today" ( un site qui réclame notamment des crédits scolaires et la maîtrise des normes universitaires pour y publier; cela n’a en rien freiné la publication de Satoshi Kamazawa et amène à se poser la question de savoir ce qu’on considère comme légitime et scientifique dans la production de savoir. Passons). Selon lui donc tout était question de testostérone. Les femmes noires auraient plus de testostérone que la moyenne et seraient donc, par conséquent, moins désirables pour les hommes hétérosexuels. Par contre, toujours selon l’article, les hommes noirs auraient plus de testostérone et par conséquent plaisent à beaucoup plus de femmes. CQFD! (Approche raciste, transphobe, homophobe,… tout y passe là. D’un article on fait plusieurs coups et hop). L’article a été retiré aussitôt.
Au-delà de la littérature 'scientifique' n’oublions pas les traces laissées par le traitement des populations durant et après l’esclavage. Il faut constamment le rappeler, à l’époque, les maîtres blancs ne permettaient pas à leurs esclaves de former librement des relations / une stabilité familiale / un foyer etc. Une très belle étude sur la perte de l’intimité et des droits sur son propre corps, est menée par la professeure Hortense Spillers que je recommande chaudement. Et notons également que les esclaves étaient sujets au viol par les maîtres blancs. De ces unions forcées naissaient des enfants qui pouvaient avoir la complexion plus claire, signe de leur ascendance. Or durant l’esclavage, avoir la peau plus claire vous permettait de bénéficier d’un traitement différent. Cela ne signifiait pas pour autant que vous échappiez à votre statut d’esclave mais il était possible, par exemple, de travailler dans la maison du maître plutôt que dans les champs.
Ce traitement différencié des esclaves selon leurs traits phénotypes (avoir la peau plus claire ou des traits plus fins par exemple) a laissé des traces dans l’organisation sociétale des colonies. Notamment dans les sociétés des Caraïbes où le colorisme a un impact considérable sur les hiérarchies. Mais le colorisme nous enseigne également sur ce qu’on considère comme LA beauté. En effet, autre dimension qui alimente le maintien du colorisme dans les psychés collectives, est l’affirmation constante des standards de beauté comme associés à la peau blanche. Plus vous avez la peau claire, plus vous avez les cheveux fins et lisses, plus vous vous rapprochez de LA beauté célébrée de manière globale dans les sociétés occidentales. Ce qui a donné notamment le skin-bleaching…
Et cela ne touche pas uniquement la beauté ! Par exemple il a été démontré que des entreprises considèrent les coiffures afros ou encore les dreadlocks comme n’étant pas suffisamment professionnelles. Par conséquent, porter votre cheveu au naturel va être un motif suffisant pour ne pas vous engager ou même pour justifier votre licenciement. De mon expérience personnelle, j’ai travaillé pour des entreprises où j’ai explicitement reçu pour consignes de ne jamais venir avec les cheveux lâchés, bouclés ou en afro. Il fallait que mes cheveux soient constamment lissés ou (étant donné mon refus) attachés en chignon serré (ce qui excluait également les tresses). Mes collègues blanches, en revanche, avaient le droit de venir les cheveux lâchés, attachés en queue de cheval, chignon, etc.
Autre exemple, en 2016 en Afrique du Sud, de jeunes écolières ont dû descendre dans la rue et manifester pour avoir le droit de porter leurs cheveux au naturel à l’école. Attirons l’attention sur l’hypocrisie à double tranchant qui accompagne le mouvement nappy et dont j’ai été moi-même la première à m’en faire l’écho, avant de réaliser mon erreur. Exiger de la part des femmes noires d’être obligatoirement avec leurs cheveux naturels est tout aussi violent et hypocrite.
L’amertume de l’homme noir
En dehors de la beauté, le dénigrement des femmes noires va profondément s’enraciner également sur leur soi-disant responsabilité dans l’échec des communautés noires. Là je vais m’intéresser plus particulièrement à la littérature qui a été produite après la période esclavagiste. Tout d’abord, histoire de casser un peu les mythes et méconnaissances sur le sujet, il n’y a pas eu l’esclavage et ensuite, “liberté, égalité pour tous”. Plusieurs personnes sont capables de parler de ségrégation dans le contexte des USA mais peu connaissent la période historique ayant suivi l’esclavage dans le cadre de l’Europe ou encore des anciennes (et pour certaines toujours avec ce même statut) de colonies.
Après l’esclavage, il y a eu non seulement des vagues d’incarcérations, mais aussi des mesures discriminantes, mises en place ou renforcées, pour s’assurer de maintenir le dessus sur une main d’œuvre peu chère et disponible.
La plupart des femmes noires ont des conditions déplorables et des emplois peu reconnus socialement. Du travail de nounous ou encore de femmes de ménage, de services d’aide à la personne, en passant par les usines… contrairement aux femmes blanches bourgeoises, dont le combat féministe se centre autour du droit de quitter le foyer pour entrer sur le marché du travail, les femmes noires, elles, ont toujours été sur le marché du travail et ont dû (et doivent toujours) lutter pour avoir de meilleurs conditions de travail.
Ainsi, quoique peu considérées et souvent reléguées à la dernière place de la hiérarchie sociale, les femmes noires ont la possibilité d’assurer une rentrée d’argent dans un contexte où les hommes noirs sont durement touchés par le chômage et la précarité salariale. Dans le contexte des familles noires, cela signifie que les femmes sont majoritairement le pilier financier du foyer. Ou encore sont mères célibataires et la seule permanence financière. On se retrouve donc dans des situations avec les populations noires, plus touchées par la pauvreté, y compris et surtout les femmes noires, sont beaucoup plus dépendantes des aides de l’État.
Or c’est aussi dans ce contexte que l’on va accuser publiquement les femmes noires d’être les responsables principales du cycle de pauvreté des familles noires. En jouant sur l’amertume des hommes noirs face à un système qui leur dénigre le droit à la masculinité normative (c’est-à-dire la possibilité d’être "l’homme de la maison", qui assure les rentrées d’argents, permet à sa femme de rester au foyer et élever ses enfants etc.) on va pointer du doigt les femmes noires comme l’ennemi public numéro 1. Un cercle pervers s’installe et se maintient.