Né au début des années 1940 à Birwa en Palestine, Mahmoud Darwich est un poète palestinien qui écrivait ses poèmes en langue arabe classique. Décédé le 9 août 2008, Mahmoud Darwich est aujourd'hui considéré comme un grand poète contemporain arabe et a été traduit en plusieurs langues. Mais il ne faisait pas l'unanimité chez les intellectuels et les personnalités politiques. Alors que certains critiques littéraires voulaient réduire sa personne à une cause politique lui niant ainsi le droit de n'être plus qu'un "simple" poète, d'autres lui reprochaient d'avoir baissé les armes dans la lutte pour la cause palestinienne. Dans un entretien accordé à Abdo Wazen et Abbas Beydoun* il dit : "Le poète n'a pas qu'un rôle social à jouer. Il doit d'abord faire son métier".
Le surnom de "poète de la résistance", Mahmoud Darwich ne l'appréciait guère et avait rappelé qu'il ne souhaitait pas être "enfermé dans cette appellation". Après tout, la poésie n'est-elle pas universelle ? Et le poète confiné à un rôle social ou politique n'est-il pas un oiseau sans ailes, pour reprendre une image de Darwich lui-même ?
Ce qu'il y a de magique avec la poésie, c'est qu'elle offre l'éternité à son auteur : Laissons donc la parole à Mahmoud Darwich, à travers ce poème qui aborde à sa façon le thème de la peur réciproque entre des individus semblables.
Il est paisible, moi aussi
Il est paisible, moi aussi.
Il sirote un thé au citron
je bois un café,
c'est ce qui nous distingue.
Comme moi, il est vêtu d'une chemise rayée
trop grande.
Comme lui, je parcours les journaux du soir.
Il ne me surprend pas quand je l'observe de biais.
Je ne le surprends pas quand il m'observe de biais.
Il est paisible, moi aussi.
Il parle au serveur.
Je parle au serveur...
Un chat noir passe entre nous.
Je caresse la fourrure de sa nuit,
il caresse la fourrure de sa nuit...
Je ne lui dis pas : Le ciel est limpide aujourd'hui, plus bleu.
Il ne me dit pas : Le ciel est limpide aujourd'hui.
Il est vu et il voit.
Je suis vu et je vois.
Je déplace la jambe gauche,
il déplace la droite.
Je fredonne une chanson,
il fredonne un air proche.
Je me dis :
Est-il le miroir dans lequel je me vois ?
Puis je cherche son regard,
mais il n'est plus là...
Je quitte précipitamment le café,
et je me dis : C'est peut-être un assassin
ou peut-être un passant qui m'a pris pour un assassin.
Il a peur, moi aussi.
Extrait de Ne t'excuse pas (recueil de poèmes traduits de l'arabe par Elias Sanbar).
*Cf. Mahmoud Darwich, Entretiens sur la poésie, avec Abdo Wazen et Abbas Beydoun, publié chez Actes Sud.